J'utilise l'incandescence de mes sentiments présents pour me lancer dans un exposé de mes convictions politiques et sociales. Je suis en colère contre un tas de choses et de gens, y compris moi-même. En colère parce que je me suis apaisé, adouci, ai rangé une partie de ma révolte dans un débarras, pour tenter de trouver une vie sociale plus consensuelle et pacifique que celle que je menais lors de mon activisme militant et politique.

Mais j'ai l'impression d'être abusé et d'être pris au piège d'un système et d'un conformisme qui ne sont pas les miens.

Le débat politique atteint des sommets de médiocrité, si tant est que la médiocrité élève à quoi que ce soit. J'ai l'impression de ne plus pouvoir regarder un mur, un écran, un journal sans apprendre les dernières frasques de Ségolène ou Nicolas (pour un peu on se croirait sur l'île de la tentation où nos deux zigotos ont pour mission de faire craquer l'électorat). A côté de ça, on fait dans l'humanitaro-sensationnel avec de la médiatisation à outrance des Abbé décédés et aussitôt oubliés.

Tout ça est proprement lamentable, aussi lamentable que les opinions de bien des gens qui m'entourent et qui se recentrent chaque jour davantage sur leur nombril en se cachant derrière la sacro-sainte conviction que "l'altruisme tue". Je n'entends plus que des "Lepen", "Sarkozy" et "Ségolène", comme si le rigorisme post mai 68 n'avait été qu'un prélude au monde auxquels aspirent tous ces braves gens qui craignent les émeutes, qui tremblent aux manifs, qui râlent lors des grèves et qui pensent que les constitutions européennes sont des solutions miracles à la soi-disant décroissance. Ce qui m'inquiète n'est pas tellement d'être entouré de vieux aigris mais surtout de jeunes libéraux qui voient l'avenir dans les théories ultra-libérales de Hayek , dans le choc des civilisations d'Huttington et qui en viennent, sans se l'avouer, à penser que la sélection naturelle a du bon, que la peine de mort n'est pas si mal et qu'il faut des guerres pour faire fonctionner l'industrie.

Non, je n'aime vraiment pas ce que je perçois, je n'aime pas sentir toutes ces voix qui se mettent au chorus pour discréditer le public et faire l'éloge du privé, comme si l'avenir était dans la bourse et la rentabilité optimale. Des machines ! Voilà ce qu'on va fabriquer à terme. Une machine bien rodée où chaque humain ne trouvera sa satisfaction plus que dans un consumérisme faussement enthousiaste. Très franchement, je ne comprends pas que chacun ne soit pas outré lorsqu'il rentre dans un supermarché, quand il regarde les vitrines de vêtements ou lorsqu'il paye un logement : le prix de la vie est exhorbitant. Mais ça n'empêche pas toute une classe moyenne de collaborer à cet état de fait en dépensant allègrement tout ce qu'elle gagne en gadgets et en frais de bouche, de faste et d'apparat. Et là je parle du public et du privé confondus, les premiers sont les mêmes que les seconds, sauf que ces derniers sont tenus par une bride plus sévère que les autres.

L'économie, l'écologie, le développement durable, le commerce équitable sont des concepts forts sympathique mais très onéreux et d'impact minime devant l'immensité du gâchis perpétré quotidiennement dans notre société insouciante. Le geste responsable est tellement infime devant l'irresponsabilité et l'indifférence collective, que des accords comme Kyoto, Johannesburg ou je ne sais quoi, sont totalement fictifs et sont davantage de l'ordre de la poudre aux yeux que l'expression d'un réel effort de progrès et de réaction.

Je n'ai plus envie de discuter dans les salons, de ressasser les mêmes poncifs derrière un café, un soda, une coupe de champagne. Tout ça me lasse et me fatigue. J'exprime mes idées, je fais des compromis aux cadres conventionnels, j'accepte que mes amis s'embourgeoisent, parce que ça fait partie de la vie en société, mais j'arrive au bout de ma patience. Cette atmosphère ouatée qui suinte le mépris, l'intolérance, l'indifférence et l'ennui, me courre sur le haricot.

Aux prochaines élections je voterais Besancenot parce que je suis convaincu de l'utilité de l'action locale des minorités politiques de gauche, que je crois en la nécessité d'un contre-pouvoir et parce que je les ai suffisamment côtoyés à une époque pour garder le souvenir de gens aimables, attentifs, ouverts au débat et réfléchis dans leurs prises de positions. Et même si je ne suis pas trotskyste ni même communiste, c'est d'eux que je me sens le plus proche. Au second tour je ne voterais pas cette fois-ci : il est hors de question que je remette dans l'urne un bulletin de barrage. Qu'on assume enfin pleinement la situation que nous avons généré. Et s'il faut aller dans la rue par la suite, j'y serais, en première ligne et l'étendard de mes valeurs haut-levé.