Trois fois que je commence un article, trois fois que je l'abandonne parce que je cherche encore trop à dissimuler le malaise qui m'habite depuis plusieurs jours; alors cette fois-ci j'opte pour une forme et un style plus bruts, sans images ni métaphores.

Je me suis observé à plusieurs reprises ces derniers temps et j'ai constaté non sans mécontentement que je me laissais aller à certaines attitudes que j'ai toujours regretté chez d'autres; ces petits riens qui montrent qu'on s'intègre et s'habitue dans le mauvais sens. Ces petits signes d'agacement, d'impatience, de nervosité, d'énervement qui me montrent que je suis à fleur de peau bien plus que je ne veux bien me l'avouer. Je ne veux pas commencer à secouer la tête quand je constate un manquement à la bienséance, je ne veux pas bougonner quand je rate de justesse une rame de métro, je ne veux pas soupirer quand un démarcheur sonne à ma porte, toutes ces petites choses qui finissent par devenir systématiques puis s'amplifient et finissent par ne nous faire plus rien accepter du tout. Ca peut sembler assez banal voire normal mais je ne l'accepte pas venant de moi parce que j'ai toujours considéré que l'existence comprenait déjà suffisament de choses lourdes pour qu'on n'y ajoute cette constante tension. Cette tension est trop généralisée et trop contagieuse pour que je conçoive de m'y abandonner aussi. Je crois que c'est une façon trop douillette d'exprimer une frustration plus profonde. Je supporte difficilement de me lever à 5 heures du matin pour faire un travail où on me refourgue ce que personne n'a envie de faire et où on n'est pas en mesure de me payer un casque qui ne me fasse pas mal aux oreilles quand je dactylographie. Je supporte difficilement de constater que la volonté à travailler ne suffit pas à trouver un travail, que la motivation ne suffit pas nécessairement à être pris. Et je supporte difficilement cette bureaucratie qui fait de chaque démarche un parcours de combattant. Mais je ne peux pas accepter que ces raisons ajoutées aient raison de ma volonté et me poussent au découragement tout en suscitant une tension constante.

Je deviens froid, sévère, tranchant, voire hypocrite avec certaines personnes et c'est aussi une attitude que je ne peux pas non plus tolérer venant de moi. Je me surprends à faire des choses que j'aurais vivement critiqué avant et je ne conçois pas de persister dans cette voie-là. Je sais pertinnement que la concession est le premier pas vers la compromission. Être calculateur de nature n'implique pas qu'on le devienne avec les gens qui nous entourent, je le condamne même moralement; alors je décide ici de mener une introspection qui remette sur la table tout ce que je suis et puisse m'amener à savoir précisément quel chemin je souhaite emprunter.

Au niveau du travail j'ai déjà remarqué comme je deviens moins perfectionniste qu'avant et pourtant c'est pour moi une question d'honneur que de faire bien mon travail et même du mieux possible. Je ne me plie plus en quatre pour arranger les autres et je le regrette parce que c'est pour moi  une façon de dire aux autres : "la part de travail que vous ne faites pas et qui pourtant est nécessaire contribue à dégrader la qualité du travail de tous". Ce n'est pas parce qu'on abuse de mon dévouement que ça implique que je dois m'aligner sur les autres qui ont tendance à mutuellement se refiler le travail ou au mieux à ne pas soulager les autres du leur lorsqu'ils n'en ont pas. Par ailleurs j'ai toujours restreint mes relations aux collègues de travail pour éviter de participer aux médisances habituelles et m'y trouver mêlé mais j'ai poussé ce comportement jusqu'à me contenter d'un bonjour-aurevoir hâtif qui frise l'associalité.

Au niveau de mes relations amicales j'ai la crainte que la routine ne s'installe mais je ne fais pas beaucoup d'efforts pour y contrevenir alors que je suis le premier à déplorer l'épuisement des relations avec l'habitude. Je crois que j'entre pleinement dans le schéma vicieux du laisser-faire/laisser-venir qui n'aboutit finalement qu'à l'épuisement complet de tout échange. La répartition que je fais de mon temps m'indique que je néglige grandement les priorités et qu'au bout du compte je ne favorise qu'un partage intense ponctuel puis que je ne réponds pas à que je serais spontanément amené à faire si je ne repoussais pas toujours confortablement les échéances. Par ailleurs je me rends compte que me conduis parfois hypocritement plutôt que de privilégier la franchise, quitte à paraître blessant, c'est pourtant une honnêteté qui me tient à coeur venant des autres.

En ce qui concerne les sentiments je me rends compte que la vision que je défendais  il y a un temps a souffert bien des entorses alors que je suis intimement convaincu et de sa valeur et de sa nécéssité. Je me refuse dorénavant à parler d'amour ou encore de me laisser influencer par son omniprésence dans les mots des autres; si amour il y a, il naîtra spontanément ou ne sera pas du tout mais je ne veux pas me tourmenter vainement sur son absence ou encore laisser naître des sentiments dans des circonstances où ils ne peuvent être vécus et en ressentent de la souffrance.

Je ne parle jamais de sexualité mais on m'en parle souvent alors je vais mettre aussi les choses au point de ce côté-là : j'ai peut-être une éducation pudique mais pour moi la sexualité relève du stricte domaine de l'intimité et je ne la conçois que comme compagnie à un sentiment profond et fort mutuel, qu'il soit éphémère ou perdure. Parfois j'ai le sentiment qu'on couche souvent comme on fait ses besoins, que l'acte relève essentiellement de la performance. Dernièrement je pensais devoir mettre ma vision au goût du jour mais en fin de compte je préfère m'y tenir : je préfère être seul et préserver une sorte de candeur naïve.

 De façon générale je me refuse à banaliser quoi que ce soit alors que toute chose revêt une singularité et qu'on ne peut se permettre de la ranger nonchalament dans une petite case. Banaliser c'est faire rentrer la banalité dans sa vie et il n'y a rien qui m'agresse plus que le sentiment de banalité. Tout peut être sujet d'intensité d'existence pourvu qu'on lui consacre l'intensité de notre attention je pense; c'est simplement une question de curiosité, d'intérêt et d'ouverture d'esprit.

Concernant mes résolutions à présent, je constate de cruelles négligences à plusieurs niveaux qui pourtant sont essentiels : toujours une question de discipline et d'hygiène de vie que je laisse trop facilement se dégrader au premier coup de blues. Mes projets souffrent de ces remises au lendemain quand ce ne sont pas des remises en causes complètes.

Enfin, ma réticence à me déterminer un avenir joue totalement sur ma situation et mon humeur et augmente de jour en jour ma tension. Je sais ce que je veux mais j'en repousse l'échéance (comme je l'évoquais dans un précédent article). Pourtant j'ai conscience que ça n'attend pas.

Voilà, je pense que j'ai relevé les points principaux de mon malaise, reste à voir si je saurais y répondre enfin.