Souvent je m'arrête ici pour écrire et puis je suspend le vol de mes mots, non pas par défaut d'inspiration pour prendre mon envol, mais plutôt par manque de conviction dans les vertus de l'aveu écrit. Je ne ressens plus tellement la nécessité de confier ce que je ressens à cet endroit quand j'ai l'impression d'alimenter parfois une sorte de voyeurisme. Le mot est sans doute un peu fort mais je crois que c'est à ça qu'on en arrive à force de ne pas savoir ce que le coeur des autres ressent de ce qui vient du fond de notre propre coeur. En ça je remercie ceux qui me répondent ici et là pour me rassurer parfois dans ma vision rêveuse du monde. Quant à la vision critique je crois que ceux qui me lisent ne viennent pas vraiment ici pour entendre parler du monde mais pour s'en évader un peu : c'est ce que j'ai voulu pour cet endroit ...

Seulement parfois j'étouffe un peu dans ma conscience insuffisamment partagée de ce vaste monde qui bat avec mon coeur et dont chaque souffle me saisit et me transporte avec lui là-bas où les gens rient, là-bas où les gens souffrent.

Je lis Anna Politkovskaïa qui raconte la Tchétchénie, la Russie et des réalités dures et tristes. Je lis que Coca Cola désèche des terres en Inde, fait assassiner des syndicalistes en Amérique du Sud et en Turquie, je lis les corps qu'on démantèle et brise en Chine et nombre d'autres choses qui me touchent et me rendent la vue d'une bouteille de Coca ou une invitation de Poutine et des dirigeants Chinois à l'Elysée, un peu amers. J'écoute Renaud qui chante les bobos et je me rends compte qu'ils m'entourent, que tout le monde consomme excessivement et que les apparts sont emplis de ces choses futiles et si chères qui me rappèlent comme d'autres souffrent pour rassembler cet argent-là. J'ai perdu l'habitude de considérer le bonheur des autres comme intolérable, il me réjouit et je l'encourage mais j'ai du mal à accepter le gaspillage, l'excès et le luxe. Toutes ces choses qui participent à un environnement lisse et propre, qui donnent l'illusion que le bonheur réside dans l'harmonie des apparences. Qui sait ? Peut-être le leur, mais le mien est dans ce chaos qui me caractérise, dans cet échaffaudage de choses et de fouillis récupéré et réhabilité qui fait mon chez-moi.

Je cours après un peu tout le monde parce que tout le monde fait un peu partie de ce que je suis et que je tiens à le garder en moi, le chérir et le protéger comme si c'était moi-même. Sans tous ces autres que je cherche à voir, je ne suis qu'un doux-fou qui collectionne les lubies mais tant qu'à être un peu siphoné, je préfère l'être en donnant aux autres un peu du monde que je construis dans mon coeur et ma tête.

Je sais très bien que personne n'a de temps que tout le monde rame sur son radeau dans ce curieux océan avec un tas de bonnes excuses en guise de perche pour pousser l'embarcation. Alors je fais semblant de ne pas savoir que la moitié du temps on a pas tellement envie de me voir, que je ne suis pas celui qu'on appelle en priorité pour sortir ou pour faire un truc. Simplement je suis gentil, un peu bizarre et je donne de moi et ça on ne peut pas me le refuser ...

Alors, juste pour gagner le droit de vous voir un peu, d'être un peu l'ami de tout le monde, pas celui qui s'impose par le charisme mais simplement par un coeur rêveur, je coupe les cheveux en quatre pour avoir de quoi répondre à toutes les attentes des autres. Et si j'ai un véritable don, je crois que c'est simplement de savoir mettre les choses à nu et puis les rhabiller avec quelques jolis effets chatoyants pour les embellir.

Je ne suis pas un ami ou l'ami, je suis l'ange-gardien ou le divertissement qui veille dans un coin de fenêtre ou anime un bout d'espace : parfois c'est un peu difficile quand j'ai envie de me décrocher de mon cadre pour évoluer pamri les vivants et partager avec eux les sentiments, les émotions, les rires et les larmes.

Mais j'ai rencontré une jeune fille étrange et timide, un peu décalée et qui regarde les autres à travers des yeux d'enfant. Une jeune fille qui me voit à nu, qui m'offre son âme, son corps et son esprit pour m'y reposer. Mon petit Nange, pas comme ceux qui volètent bêtement sur le stuc des cheminées baroques et portent l'auréole, simplement celui que j'ai décroché d'un sapin de noël, un peu gauche, les joues rougies, les yeux brillants et le coeur fragile.

Alors aujourd'hui je ne souffre plus de ne pas avoir su ou pu adopter l'ami(e) qui vient chez moi comme je vais chez lui (ou elle) et qui rit et pleure avec moi en complice tandis que s'égrènent nos jours respectifs.

Finalement j'aime un peu tout le monde "tout particulièrement" comme si tous formaient ensembles ce "meilleur ami"; j'aime mon frère, comme seul peut être aimé un frère, un bout de ma chair, un miroir de ma pensée et de mon coeur, et puis  je l'aime elle, mon petit bonheur qui me ravit, m'émerveille et me fait rire parfois aux larmes.

On air : Tien an men de Calogero