Je vois que les débats n'en finissent pas au sujet de la Constitution Européenne, à tel point que les kiosques sont tapissés de Non et Oui de toutes couleurs, formes et tailles de caractères.

J'avais commencé à aborder la question pour finalement abandonner l'idée de conduire une réflexion sur le sujet, non seulement pas insuffisance de temps mais avant tout et surtout habité du sentiment que j'assistais à un vaste showroom et qu'il me faudrait trois mois au moins d'analyse approfondie de tout le fonctionnement des institutions européennes pour pouvoir déterminer à peu près les conséquences d'une adoption ou non de cette nouvelle constitution.

Or je ne vois finalement que des argumentaires d'ouï dire et de sympathie envers tel ou tel argument avancé mais rien qui puisse m'offrir (si tant est que ce soit possible) une vision assez globale de la chose.

Je travaille depuis deux semaines à l'accueil d'un Tribunal d'Instance et le constat que je fais de la situation de l'administration française est assez effarant.Le lien avec la Constitution ? C'est très simple : c'est formidable d'argumenter pour le oui et le non d'une chose mais qui se pose la question de savoir si les institutions européennes et nationales sont aptes à prendre en compte les nouvelles dispositions alors qu'elles sont déjà en manque cruel de personnel et de moyens ? On nous présente autant de pages en plus à la constitution mais ne sont-ce pas autant de juristes qui seront alors nécessaires à son interprétation et son application ? Est-ce que l'on s'est posé la question de l'aptitude que l'on a à intégrer le nouveau texte dans les législations européennes et nationales ?

Car moi je vois une chose : depuis deux mois le Tribunal d'Instance où je travaille n'a plus personne pour gérer les mises sous Tutelles des personnes mineures (adoptions en cas de décès des deux parents, etc.) ce qui fait que des cas d'extrême urgence se présentent parfois avec personne pour pouvoir s'en occuper pleinement. Et bientôt les mises sous tutelles des handicapés et personnes agées seront également paralysées par le départ en congé de maternité de la greffière qui les a en charge : que se passera-t-il alors puisque personne ne la remplace durant 6 mois a priori ? Rien,parce qu'on n'a pas les sous pour payer quelqu'un, pas plus qu'on ne les a pour garantir ma place d'agent d'accueil au-delà des trois mois d'engagement initial; déjà que je suis obligé de faire beaucoup d'efforts pour ne pas céder à la tension nerveuse qu'entraînent les protestations houleuses de personnes catastrophées par le retard de traitement de leurs dossiers, qu'en sera-t-il dans un à deux mois ?

Voilà la réalité administrative telle qu'elle est non seulement là où je travaille mais partout en France et probablement dans l'Union Européenne. Alors dites-moi, tous ceux qui ont une vision très idéalisée et enthousiaste de l'Europe et qui imaginez qu'on va réellement défendre les droits du citoyen, quel juriste fera des heures sup. pour défendre les droits de ceux qui feront jouer la Charte Fondamentale des Droits de l'Homme ? Quelle procédure de justice aura une chance d'arriver à terme dans un délai raisonnable quand déjà au niveau local les avocats sont catastrophés d'avoir des audiences 4 à 5 mois après leur placement quand on sait que ce sont les procédures "simplifiées" et "accélérées" que le gouvernement a fièrement mis en avant en multipliant des juges non professionnels, les juges de proximités ?

Pensez à vos appels excédés aux administrations qui ne semblent jamais répondre et dites-vous qu'au bout du fil il n'y a pas un fonctionnaire paresseux qui ne décroche pas mais un standard surchargé que tient une personne comme moi et dont le combiné sonne en continu de 9h à 17h dans un intervalle de 5 minutes. Une fois que vous aurez pris conscience de cette réalité, la Constitution européenne vous apparaîtra rapidement comme un gros pavé théorique que chacun interprétera non selon sa convenance mais selon sa disponibilité, et croyez-moi que ça ne jouera certainement pas en faveur des citoyens de l'Union alors que déjà maintenant les grosses sociétés profitent de cette situation pour ne jamais se présenter aux audiences et laisser traîner indéfiniment les affaires.

Voilà, le 29 mai je voterais donc NON, avant tout parce que je considère qu'avant de penser le progrès il faut se donner les moyens et l'assurance de pouvoir le mettre en oeuvre !