Écrire est toujours un acte qui se situe à la rencontre de l'envie, du besoin et du contexte.

Ce soir j'ai l'envie plus que le besoin, et comme le moment s'y prête ...

Depuis plusieurs heures je suis occupé à dessiner ma carte imaginaire d'une Édimbourg ravagée par la peste et demeurée en quarantaine durant les deux cents années qui ont suivi. Un défi intéressant d'imaginer ce qu'aurait été et ce que seraient les lieux, les pays, le monde, si les choses s'étaient déroulées autrement.

De la même façon qu'on pourrait se prendre à penser à ce qu'aurait été la vie si à un moment donné si on avait choisi la bifurcation de droite au lieu de celle de gauche, le pont au lieu du bac, un horizon pour un autre ...

Avec le temps je me dis que les alternatives, si elles jalonnent notre existence, ne sont pas si nombreuses, puisque les vrais choix, ceux qui dévorent l'esprit et nous mettent le cœur en vrac, ceux-là on ne les vit qu'une fois par décennie ... le reste du temps les choix sont faits sans trop d'hésitation et seuls les regrets ou les remords dessinent les alternatives que nous aurions pu vivre, a posteriori.

Chaque jour je visualise très clairement les portes de sortie, les chemins de traverse, les raccourcis, et c'est délibérément que je ne m'y engage pas; soit que mon existence n'appartient pas qu'à moi et que mes choix ne peuvent pas être que les miens, soit que je vois une raison de patienter encore; ou soit que, tout simplement, je n'ai pas eu assez de courage ou d'entrain pour prendre la ligne droite, je me suis laissé dériver dans une voie de garage.

Mais je n'ai pas envie de revenir une fois encore sur ce blog sur la notion de décision et de choix, j'ai envie de me concentrer sur ce que je suis et fais et sur la meilleure façon de le faire bien.

Je suis conscient d'être un ami fugitif, de m'attacher bien peu de gens et d'être parfois un fantôme pour ceux qui m'apprécient et se considèrent comme mes amis. Je suis l'homme aux multiples vies, celui qui ne peut pas se décider sur une et choisit de vivre de façon un peu schizophrène, à la croisée de plusieurs univers. Je vais et je viens d'un monde à l'autre, parfois très présent, ensuite très absent. Je sais que c'est étrange, que je suis étrange et difficile à cerner, j'ai fini par m'accepter ainsi.

Je me débrouille pour que mon identité professionnelle ne croise pas mon identité politique, qui ne croise pas trop mon identité famille ou amis, parce que le monde est fait de prés carrés et de murs et que les passerelles sont ténues et fragiles. Alors je préfère laisser le flou, créer des espaces vides que les curieux combleront s'ils le souhaitent.

Ce blog par exemple fait partie de mon identité sentimentale, amicale, imaginaire et émotionnelle. Mon identité politique, humanitaire a fini par décider qu'elle se trouverait un autre réceptacle ailleurs. Ma vie professionnelle, quant à elle, n'est qu'un paravent, un squelette sur lequel reposer tout le reste, un socle ...

Jusqu'à récemment et encore maintenant, j'avais envie de créer des ponts entre ces identités et les gens qui leur sont associées, mais je me suis aperçu que la plupart des humains aiment n'appartenir qu'à un seul univers qui les rassure, leur offre quantités de repères invariables. Pour le reste ils s'aménagent des embardées, des petits à-côtés qui stimulent, font frissonner, des parts raisonnables de dépaysement ou de risques qu'ils se sentent d'assumer. Du coup je vis ma vie schizophrénique et je ne parle plus aux gens que de ce qu'ils ont envie de parler et de voir. Dommage ... j'aime bien parler de tout, me passionner pour tout et le partager. Le puzzle est là, chacun est libre d'en assembler les morceaux. Après je garde certains univers secrets parce qu'ils me mettent en péril.

J'ai parfois l'impression d'être un de ces meubles chinois avec d'innombrables tiroirs et compartiments, je me vois déjà dans ma vieillesse m'apercevoir que je ne me souviens même plus de tous ceux où j'ai déposé un peu de moi-même. Je ne m'en plains pas, j'aime être multiple, parcourir des chemins parallèles et croiser sur chacun des richesses que je n'aurais jamais découvertes si je ne m'étais aventuré qu'au long d'un seul sentier. Alors oui, je ne me laisse pas forcément la possibilité d'approfondir autant que j'aimerais certaines voies, mais c'est ainsi, c'est la contrepartie, parce que dans l'existence il en faut; sinon nous serions des dieux, si nous pouvions tout embrasser ...

Alea jacta est dixit César en franchissant le Rubicon avec son armée, engageant Rome dans une guerre civile. Je choisis pour ma part de m'engager dans toutes mes identités, au risque qu'un matin elles ne rentrent en conflit et qu'elles ne s'effondrent toutes comme un château de cartes. Il faut vivre dangereusement, n'est-ce pas ?