En Hongrie nous ne savions pas ce que nous allions trouver, nous savions juste que nous ne verrions pas des migrants comme nous avions pu en rencontrer dans la première partie de notre voyage parce que là-bas ils tentent la traversée clandestinement sans escale et que ceux qui se font arrêter sont en centres de rétention où on ne peut pas les voir. Nous avions donc une carte annotée de tous les points que nous voulions observer : points frontières et centres de rétention.

Pour nous rendre en Hongrie nous sommes partis de Venise où notre bateau hellène nous a déposés. Seize heure de train et bus cumulés pour rejoindre Subotica en Serbie, en passant par Llubjana en Slovénie et en prenant le bus à Zagreb en Croatie. Dans cette seconde partie du voyage une amie photographe engagée nous a rejoint dans notre périple, agrandissant un peu notre team de baroudeurs. 

En route nous avons eu le plaisir et la surprise de croiser un lillois que notre amie connaissait de vue. Il voyageait avec sa copine espagnole et sa soeur africaine, une poupée de bois qu'il a façonnée lui-même selon les traditions sénégalaises. Adepte de la pédagogie Frenet il participe au mouvement international pour sa diffusion et sa promotion. Les voyages sont riches de ces rencontres insolites qui ouvrent d'innombrables perspectives de retrouvailles et de voyages futurs.

Mais revenons à notre périple : Subotica est une ville frontière avec la Hongrie, très jolie et vivante; nous avons été surpris de trouver une population aussi souriante et bienveillante avec nous. Le Serbe est très proche du russe; mon frère (qui a une copine russe et a donc appris la langue) a donc pu communiquer très facilement avec nos interlocuteurs.

Nous avions décidé de profiter des prix très bas de la Serbie pour y installer notre premier point de rayonnement vers les frontières. Nos affaires posées à l'hôtel, nous avons pris un peu de repos pour visiter la ville, écrire des cartes, renouer avec le monde cybernétique avant de reprendre nos investigations le lendemain;
Au matin nous avons donc pris le bus pour rejoindre Horgos, le village frontière où un important point de douane est établi sur l'autoroute qui remonte de Belgrade vers Budapest.

Le soleil toujours brûlant ne nous laisse pas beaucoup d'ombrages pour nous abriter; c'est donc la bouteille d'eau à la main que nous traversons les habitations pittoresques et les bords de routes fleuris et dévorés par la verdure de Horgos. Plusieurs fois nous sommes obligés de faire confirmer notre chemin par des villageois souriants. Finalement, à l'aide de la carte nous déterminons la position de l'ancien poste frontière posé sur une route désormais peu usitée. Nous contournons l'endroit, désireux d'observer la frontière autre part que sur le point de douane.

Finalement nous nous retrouvons en pleine campagne à longer une voie ferrée qui ne voit passer qu'un vieux train à un wagon toutes les 2 heures. Théoriquement la voie qui conduit de Horgos à Röske en Hongrie franchit la frontière et doit donc logiquement subir un contrôle. A l'endroit théorique que j'estime être celui de la frontière un vieux mirador abandonné est le seul vestige d'un point de contrôle. Du haut du mirador la vue est prenante mais aucun barbelé, aucun dispositif frontalier visible, à notre grande surprise. L'Europe n'est donc pas physiquement close à cet endroit comme nous l'attendions; à tel point que mon frère refuse de croire que nous sommes arrivés à la frontière. Nous continuons donc à longer notre voie ferrée dans une chaleur harassante sur 2 km avant d'être en vue du clocher d'un village que j'estime être Röske.

Alors que nous approchons du village je m'aperçois que nous sommes poursuivis par deux policiers, un homme et une femme qui nous courent dessus. Nous sommes appréhendés, et la femme qui parle un très bon anglais nous explique, après vérification des passeports, que nous sommes sortis illégalement de la Serbie puisque nous n'en avons pas le tampon de sortie. Citoyens européens nous n'avons en effet pas pénétré illégalement en Europe. Cette situation met les policiers dans l'embarras et les oblige à nous faire stationner un long moment au soleil en attendant les ordres. La femme nous confie que d'habitude ils ont affaire à des immigrants illégaux assez nombreux et que nous avons de la chance de pas être tombés sur leurs collègues serbes qui peuvent se montrer brutaux. Ils nous demandent si nous n'avions pas vus les quatre petites pierres blanches qui marquent la frontière ...

Finalement ils nous disent qu'un policier français en poste à la frontière va nous interroger. Il arrive dans une voiture avec des collègues serbes, nous nous retrouvons donc entourés d'une dizaine de gardes frontière de trois nationalités différentes. Nous ne sommes pas surpris de rencontrer un français ici, il nous confirme ce que nous savions déjà : la présence de l'agence de sécurité Frontex aux frontières hongroises. Cette agence financée par l'Europe est en charge de la gestion de l'immigration sur les frontières européennes et pratique un refoulement systématique des étrangers, la formation des gardes frontières selon ces objectifs, et dispose à cet effet d'un matériel aérien, terrestre et maritime très impressionnant.

Le français, de la Police aux Frontières française, avec son brassard Frontex, nous interroge donc avec des questions très précises sur nos lieux respectifs d'habitation pour éprouver nos affirmations. Il clos l'entretien avec une petite photo de groupe et nous informe que les gardes frontières vont nous dresser un procès verbal avec une amende de 40 euros chacun à payer à la poste la plus proche. Tout du long nous avons joué les touristes ignorants qui se sont égarés dans leur promenade frontalière, craignant qu'on ne découvre notre carte annotée.

L'aventure n'est pas encore terminée : les gardes se trompent dans le procès verbal et sont donc obligés de nous ramener au poste frontière où mon frère et J. notre amie aperçoivent la cellule où on enferme les étrangers. On nous laisse finalement partir et nous sommes obligés de prendre le bus pour rejoindre Szeged à 15km de là en espérant qu'à 18h la poste sera encore ouverte. Nous ne sommes en effet pas autorisés à quitter la Hongrie avant le règlement de l'amende sous peine d'emprisonnement. C'est finalement à 21h30 que nous revenons enfin à la frontière pour faire du stop vers Subotica. Les gardes frontière serbes nous intiment de nous éloigner, nous obligeant à longer l'autoroute à pied vers la prochaine station de service.

Sur la route nous apercevons deux véhicules policiers tous feux éteints arrêtés sur un pont au-dessus de l'autoroute dont l'un est surmonté d'un gros dispositif radar. Curieux, nous décidons de nous rendre compte plus près de quoi il s'agit. Les deux véhicules sont emplis avec une dizaine de gardes serbes qui nous interpellent aussitôt en demandant à voir nos photos, effaçant au passage celles du mirador. Un dispositif conséquent semble être déployé la nuit pour quadriller la campagne.

La fin de la soirée se passe à galérer en tentant du stop : 30 km parcourus en 3h en fin de compte ...

Après cette journée chargée nous décidons de nous installer à Szeged en Hongrie où une réponse positive de couchsurfing nous garantit de trouver un couchage de plusieurs nuits. J. décide de poursuivre sa route vers Timisoara en Roumanie, désireuse de trouver un environnement plus propice à la photographie. Mon frère et elle se rejoindront en Hongrie plus tard, lorsque je poursuivrais ma route vers Budapest puis Varsovie avant de rentrer à Paris.

Prochain épisode : la Hongrie donc, où n'avons pas été en reste de galères ...