Hier j'ai vu un film qui m'a ramené à d'anciennes lectures et de biens tristes documentaires. Un Crime dans la tête de Jonathan Demme, pas exceptionnel en soi mais servi par de talentueux acteurs. C'est plutôt le sujet qui me touche profondément : les savants fous de la guerre.

C'est quand je vois de tels films que je me dois de penser un être profondément vicieux et fondamentalement divergent de toutes mes valeurs et principes, distinct de tous mes repères. Il m'est difficile de penser un être ainsi sans chercher des causes, sans me dire que quelque chose a motivé ce devenir; j'ai tendance à considérer un être humain comme neutre à sa naissance et forgé par son expérience par la suite, et non pas prédestiné (le concept de prédestination comme celui de destin font l'objet dans mon esprit d'un refus, d'un rejet spontanné puisque je ne peux admettre que ma vie soit éventuellement dénuée de tout libre-arbitre véritable, que je ne suis que le produit d'un patrimoine génétique inné).

Mais comment penser qu'un être puisse parvenir à un tel degré d'abjection ? Comment concevoir qu'il puisse infliger tant de douleur à son prochain sans même ciller ? Qu'il puisse consciemment exercer une telle violence psychologique cruelle pour ne pas dire sadique sur un de ses semblables ? Après la lecture des récits concernant les expériences atroces du médecin nazi Josef Mengele (qui a réussi à se soustraire à tous les tribunaux internationaux jusqu'à sa mort présumée en 79 au Brésil), j'ai du mal à imaginer l'homme qui passe ses journées dans un environnement de néons, de cris, de tortures, de sang, de mort et d'abstraction de toute humanité. Je sais que je pourrais en comprendre les raisons mais je ne le veux pas, je ne veux pas justifier cette abomination, je ne veux pas que mon esprit le conçoive, l'accepte et le comprenne. Je préfère garder cette candeur scandalisée et incompréhensive qui continuera toujours à condamner et juger ces actes atroces.

C'est comme un cri de terreur qui s'élève en moi quand mon imagination me montre les images de ces camps de la mort, des chambres de tortures de Pinochet, du génocide furieux des Khmers rouges ou encore de ces expériences nazies sur des corps humains éprouvées dans leurs plus extrêmes limites. Les moines tibétains, le peuple tchétchène, les chiliens, les juifs, les khurdes ... pour chacun de ces peuples je vois les images, j'entends, je sens, j'éprouve, je tremble, je me débats devant ces visions d'horreur dont je sais qu'elles peuvent pénétrer mon existence du jour au lendemain. Je crois que c'est pour ça que je garde coûte que coûte cet élan de vie, ce besoin irrépressible de respirer à grandes goulées et de profiter de la beauté de chaque petite chose, de ce que chaque instant peut receller d'enrichissant : parce qu'au fond de moi il y a la conscience de cette autre réalité qui me hante et me pousse à vouloir faire un éloge vibrant à la vie.

Il est nécessaire que de temps à autre je me mette face à l'innomable, face à ce qui fait souffrir rien que de le regarder, ce qui consume la légèreté, qui brûle les sens comme une immolation, parce qu'alors je retrouve ma pleine humilité et je sais quel est le sens de ma vie et quelle est la valeur de la vie en général : dans la préservation de ce qui tentera jusqu'à son dernier souffle de subsister, de survivre quoi qu'il doive en coûter (le Pianiste de Polanski donne toute la dimension de cette lutte entre nihilisme et vie).

Je crois que c'est pour ça que je ne peux pas simplement construire ma vie tranquillement dans le confort et les petits plaisirs : parce que je n'arrive pas à dissocier mon esprit de cette conscience, parce que le jour où ça arriverait je voudrais ne pas me dire "j'ai tout perdu, je ne m'y attendais pas, je ne savais pas ...". Parce que je sais que ça peut arriver du jour au lendemain et que je ne veux pas arriver ce jour-là avec les mains trop vides et impuissantes pour pouvoir affirmer ma vie et garrantir ma survie.

Ce n'est pas très gai mais je tenais à faire avec ce texte un devoir de mémoire et de conscience ...