Récrire quand on s'est interrompu longtemps c'est toujours un peu comme essayer de tendre une corde des deux côtés d'un précipice : il faut de l'élan, de la volonté et surtout une bonne motivation.

La volonté je l'ai toujours eu, elle ne me quitte jamais : j'adore écrire. Et je m'aperçois que si on a l'élan, la motivation finit par rejoindre le train en cours de route.

Les vacances sont propices aux retours sur soi, aux réflexions pesées et reposées au creux du canapé, dérobées à une lecture qui s'est égarée dans son fil. Je pense beaucoup ces temps-ci, ou plutôt : je me laisse suffisamment de temps pour m'appesantir sur moi-même et sur le monde et la vie qui m'entourent. Il faut dire que mes amis politisés sont un ferment riche pour puiser des réflexions métaphysiques;

Hier soir j'ai assisté, en partie silencieusement et avec intérêt, à une discussion intéressante entre deux amis sur le thème de l'écologie : est-ce que le retour qu'un certain nombre de gens font vers une vie davantage en accord avec la nature peut s'accompagner d'une démarche féministe ? La volonté de retourner à une vie plus fondamentale et rustique s'accompagne malheureusement bien souvent d'un retour dans des schèmes homme-femme où la répartition des tâches quotidiennes va à l'encontre d'une évolution contemporaine qui tend davantage vers le partage indifférencié.
Une étude sociologique a démontré que dans l'essentiel des cas de retours à une vie rurale, la femme retournait à des tâches autrefois dédiées aux femmes et pareillement pour l'homme, d'où la nécessité de penser une démarche écologique qui intègre pleinement les revendications féministes (c'est notamment la question qui avait poussé Elisabeth Badinter à s'opposer violemment aux défenseur-e-s des couches lavables, qui entraîneraient un surcroît de travail pour la mère sous couvert d'écologie, et ramèneraient celle-ci à son rôle de femme au foyer).

Un sujet que je maîtrise très insuffisamment mais qui a débouché sur une discussion quant à la spécificité de la lutte féministe par rapport aux autres formes de militantisme, par le fait qu'elle touchait à la vie quotidienne et à l'intimité de chacun, quelle que soit son origine sociale et ses autres appartenances politiques, culturelles ou religieuses. Le féminisme est une lutte du quotidien et sans objectif autre que la perpétuelle remise en cause de soi-même et de son rapport en tant que femme à l'homme et inversement.

Bref, je me suis fait la réflexion que je devrais m'appesantir davantage sur le sujet et intégrer dans toute forme de militantisme personnel et dans mon comportement quotidien, les problématiques de la lutte féministe, en tant qu'homme potentiellement "dominateur par nature" (pour reprendre l'expression de mon amie J.).


Une autre interrogation me trotte dans la tête depuis quelques temps : celle de la conception du travail. Un certain nombre de mes amis sont de fervents opposants au travail en tant qu'institution aliénante et qu'asservissement. La revendication du non-travail est une aussi une lutte à part entière avec ses théoriciens, ses défenseurs acharnés (voir les documentaires Volem rien foutre al pais ou  Attention danger travail de Pierre Carles). En mai 68 on clamait qu'on ne voulait pas "perdre sa vie à la gagner" et aujourd'hui prévaut le "travailler plus pour gagner plus" de Sarkozy, avec toute la charge de culpabilité que ça représente pour les personnes inactives, considérées comme des parasites assistés du système;
Or je n'ai pas le sentiment que ces amis qui sont chômeurs, "rsastes" comme on dit maintenant, sont les sangsues que l'état s'évertue à montrer du doigt pour justifier la multiplication des contrats précaires et la suppression progressive des aides sociales. Je côtoie des gens extrêmement créatifs, participatifs, qui donnent beaucoup de temps pour réinvestir les quartiers d'une vie populaire qui s'est éteinte dans les périphéries dortoirs que l'urbanisation contemporaine présente comme des eldorados de tranquillité et de sécurité. Mes amis sont artistes, font vivre les bâtiments vides, y recréent des activités ouvertes à tout le quartier (jardins partagés, activités culturelles, artistiques, etc.), ils sont militants, défendent tous ceux que les travailleurs stressés et occupés, en quête perpétuelle de calme, ne veulent plus voir, comme si tous ces constats d'échec social représentaient un souvenir culpabilisant qu'il ne fait pas bon effleurer; Les tours de verre et d'ivoire bardées de caméras et de digicodes sont des havres qui protègent fort bien de ces désagréments;

L'autre jour je me promenais à Boulogne Billancourt, là où autrefois s'alignaient les usines Renault, autour desquelles on pouvait trouver des quartiers ouvriers foisonnant de vie. aujourd'hui tout a été ramené à ground zéro et ce sont les tours de bureaux qui s'alignent, spectres illuminés la nuit dans des rues plus désertes que les villages fantômes dont on trouve encore ici et là les ruines dans les campagnes françaises; Les bistrots où ça riait, jouait et dansait ont cédé la place aux sushis, les ouvriers aux pingouins en costards et la vie à son simulacre policé et totalement artificiel. Non, cette paix n'est qu'une petite mort, détrompez-vous : il n'y a rien là qui véhicule la multiplicité, la diversité et la richesses des cultures passées, c'est juste le temple d'un libéralisme mégalomane, possessif, paranoïaque et frigide ...

Cette réflexion m'a ramené à ma propre place dans la société, et au sens qu'il y a persévérer dans une fonction publique condamnée à l'échafaud, déjà saignée à blanc, méprisée quotidiennement. Je ne suis pas un forçat à qui on va demander demain de faire le travail de tous les postes qu'on supprime aveuglément sous prétexte de coupes budgétaires. La crise c'est une grande marmite spéculative dans laquelle nos états complices, victimes et responsables nous noient avec un bouillon saumâtre en guise d'argumentaire justificatif.  J'y ai cru, persuadé d'abord de pouvoir améliorer des choses, puis convaincu que je travaillais pour pouvoir construire quelque chose à côté, et finalement obligé de constater que je perds ma vie à la gagner comme trop d'humains ...

Alors, sincèrement, aujourd'hui j'ai envie de bifurquer et m'opposer un autre défi  : faire quelque chose par moi-même, pour moi-même et les autres, et avec mes deux mains ! Ce sera moins soudain qu'une rupture mais le virage est dans ma tête de façon concrète, mûri depuis bientôt deux ans de tergiversations.