J'ai l'impression qu'on n'écrit sensiblement que lorsqu'on se met dans une position de faiblesse et c'est sans doute ce qui me retient tellement dans l'écriture ces derniers temps (excepté le fait que je garde envers et contre tout une part de flemme irrépressible).

Il faut arriver à ce point où on se met à nu devant soi et comme le modèle pour le peintre, on laisse le trait suivre le contour de l'intimité avant de lui offrir davantage de fermeté et hardiesse. Ecrire c'est comme faire l'amour, c'est charnel, viscéral ou alors ce n'est que mensonges, frigidité et simulation. Il faut écrire corps et âme sinon le plaisir ne surgit pas. Le plaisir ou la douleur puisqu'ils sont intimement liés par leur intensité dans les sensations. Il faut atteindre un certain degré de plaisir ou de  douleur pour écrire quelque chose de sensible. Après écrire bien sans émotion, c'est écrire avec l'intelligence, la force de l'esprit. Mais ça n'aura jamais le pouvoir émotionnel de troubler, d'émouvoir ...

Il me faut m'émouvoir pour toucher la corde sensible et voir couler ensembles l'encre, le sang, la bile ou les larmes. C'est peut-être ce qui me frustre le plus dans ma vie récente : ce calme émotionnel, ce trop grand manque de recul pour pouvoir m'abimer ou m'extasier librement.

Ce soir il y a quelque chose, un petit espace de liberté offert à mon écriture : pas d'interlocuteur pour me ramener à mon existence quotidienne, pas de sortie pour me distraire, pas de film accessible pour m'occuper et pas assez de motivation pour me livrer à mes envies créatives. Je suis livré à moi-même, seul et fragile, empli de la possibilité et de la liberté d'écrire à nouveau ...

Il y a beaucoup de choses qui ont contribué à m'isoler de ce sanctuaire virtuel : les faux amis, ceux qui n'étaient que des illusions fabriquées de toutes pièces et dont j'ai découvert la vie factice les uns après les autres. Les amis partis, ceux que j'ai attendu un temps, regretté, puis oublié peu à peu. Les amours consumés aussi qui m'ont retenu longtemps en haleine dans mes mots. Et puis la vie quotidienne, l'existence crue et sans détours qui s'est imposée derrière tous ces visages virtuels. aujourd'hui je connais leurs vies en photos, leurs petits maux quotidiens, toutes ces choses qui désincarnent le mystère de l'inconnu. Mais je ne regrette pas : il y avait tellement à recevoir et à donner, que tous ces souvenirs me font davantage sourire que soupirer. Alors quoi ? Alors la vie tout simplement, celle qui fait qu'ici je ne suis plus un Songe qui invente des histoires et rêve paisiblement ou s'enflamme tumultueusement; je suis avant tout Joël et son imagination, Joël et sa vie parmi les autres : j'ai perdu autant de mystère que les autres. Or le mystère est la clé de la fantaisie, ce pouvoir qui laisse espérer que tout soit possible. Mais ce n'est pas si grave : je rêve toujours, j'aime toujours autant la vie et les hommes (peut-être un peu moins ces derniers parfois, sans doute parce chaque année remplace la curiosité par l'expérience, l'inconnu par la connaissance et que l'humanité aussi bien que le monde physique et naturel me sont moins mystérieux, plus explicable).

Ce soir j'avais besoin de renouer avec moi-même pour me rappeler qui je suis, que j'ai des principes et que chaque mot ici avait un sens que je ne veux pas perdre dans la routine de l'existence. Par moment j'ai encore envie de me dresser en haranguant les foules, en soufflant la passion de la révolte et le feu du refus de l'injustice et de la banalité, mais je me suis aussi assagi : j'ai appris que crier est une vanité et que seuls les actes valent quelque chose. Hurler plus fort des valeurs que la vérité des réalisations c'est de la politique; forger de ses mains patiemment en ne revendiquant pas pour soi les bénéfices de l'ouvrage, c'est de l'altruisme véritable.

Alors bon, aujourd'hui je promets moins de chose, je fais moins de serments aux ciel, je tempête et j'encense moins, et finalement je me sens moins vaniteux, peut-être aussi moins différent des autres mais sans doute moins seul aussi qu'autrefois. Lire l'Alchimiste de Coelho à ce moment-là de ma vie, je crois que c'est un bienfait : je suis engagé sur un chemin qui ne semble pas suivre ma légende personnelle, mais au fond de moi je sais qu'elle n'est jamais qu'à un pas de moi et que rien ne m'en éloigne vraiment dans les choix que je fais. Je chemine à côté sans y prétendre et parfois la reconnaissance des autres, fugitive mais sincère, ma rassure en me disant que je suis toujours dans le chemin de mes principes.

Les saints sont des victimes de leur image, des stars de la vertu qui sont pris au piège d'une légende qui les désincarne pour en faire des anges aussi inaccessibles aux hommes que ces silhouettes irréelles et longilignes qui s'étalent sur les panneaux publicitaires et prétendent être le canon de la beauté. En vérité, je crois qu'il y aussi peu de canons de la vertu que de canons de la beauté ou encore de canons de l'intelligence comme notre espèce élitiste aimerait sans cesse l'affirmer. il y a des hommes qui, plus ils se fondant dans un cliché, moins ils ont de personnalité propre, d'identité. il ne reste que les spectres d'un idéal très ambitieux et surtout très faux, bien trop peu humain . J'aimais les chevaliers plein de vertu, les jedi et paladins et maintenant j'aime tout simplement celui qui a un magnifique sourire, celui qui a une imagination débordante, celle qui a une belle silhouette tout en formes savoureuses, celle qui a un esprit agile et facétieux, ceux qui une qualité mais aussi pas mal de défauts : mes voisins les hommes ...

Arriver à cette conclusion m'aide aussi à mieux accepter mes propres errements et vices parce qu'ils ne sont pas l'expression d'une faiblesse intolérable au regard des idéaux en carton pâte des contes pour enfant, ils sont la traduction pure et simple du fait que je suis humain et que j'ai moi aussi envie et besoin d'être répréhensible et critiquable. Ca m'aide à affronter l'avenir avec plus de sérénité parce que je n'ai pas une montagne d'attentes et d'exigences qui me font face et m'empêchent de décoller. Si un jour je dois faire quelque chose d'extraordinaire, il y a de fortes chances qu'on n'en sache rien et que moi-même je ne le considère pas comme tel et comme ça ce sera sans doute plus vrai et plus précieux.

En attendant, vivons, tout simplement !