Le son martèle les murs, les percute et en détache le plâtre friable, puis rebondit et éclabousse les ruines de Jéricho, courant sur chacune de leurs aspérités avant de se les approprier et de poursuivre son chemin, laissant derrière lui un nuage de poussières.
Poussières vous étiez, poussières vous retournerez ...
Le piano titanesque rejoue inlassablement de son timbre profond et vibrant la chute des vaniteux, la fin d'un monde et la malédiction de celui qui voudra renaître là. Jéricho est morte et le vieux Josué veille dessus, les doigts ensorcelés par le rythme frénétique des touches, son front brulant mouillé de la sueur du passionné, les yeux rougis par l'abrasion du sable, l'esprit emporté par l'oeuvre sublime et divine dont il est le compositeur.
Dans la force de la passion réside la puissance d'une armée, le pouvoir de renverser des empires. Josué a vaincu seul ... le désert et les ruines antiques de Jéricho : ici chaque note possède son écho, le paysage est devenue portée dans l'âme créative et destructrice de l'auteur, rien ne peut plus échapper à sa sonate.
Lorsque le jour se couche, Jéricho hurle son chant funèbre à la lune et celle-ci repeint d'un blanc spectral le glorieux passé qui lui a vallu sa chute. Le piano devient l'arche d'alliance qui navigue entre la lune et la cité qui lui a usurpé son nom.
Un matin Hiel se découpera dans l'aube du désert et déposera de part et d'autre de Josué ses deux enfants défunts afin qu'ils relaient l'artiste maudit. Jéricho mourra alors chaque nuit où Josué déchirera l'obscurité de ses sonates funèbres et renaitra à chaque aube où les deux enfants accompagneront l'œuvre de reconstruction de Hiel avec la symphonie majestueuse de la vie.
Vie et mort sont amantes et dans le sillage de leurs ébats naissent et périssent les mondes ...