J'ai une sainte, non plutôt une sacro-sainte, horreur de faire le ménage lorsqu'il s'agit d'aller plus loin que le balais.

Comme tout bon samedi qui se respecte, je pensais pouvoir flemmarder paisiblement et me remettre de ma semaine en finassant ici et là entre l'ordi, le lit et le canapé.

Seulement voilà, je m'apperçois que les caisses de paperasses que j'avais judcieusement disposées sous le siège adossé à la fenêtre, baignent dans une sympathique flaque d'eau, et ce malgré le temps radieux au-dehors. Après avoir jugulé l'innondation j'écarte par curiosité le rideau de la fenêtre et me rends compte que la condensation fait des siennes sur les vitres et s'improvise en cascade jusqu'au bas du mur.

Mais ce n'est qu'à ce moment-là que mon esprit peu habitué à des manoeuvres complexes lorsqu'il s'agit de prendre des mesures radicales le week-end, élabore l'idée qu'il serait intéressant de pousser l'exploration plus loin en virant tout ce qui s'amoncelle (à défaut de place ailleurs) derrière la porte, contre le mur extérieur.

Et là, ô surprise, ô catastrophe, ô désespoir, j'ai la vision apocalyptique d'un mur où les moisissures se disputent à qui arrivera la première au sommet. Inutile de vous dire que le pied du mur ferait le bonheur d'un décorateur de film d'horreurs : j'ai du mal à estimer s'il fut construit au 6ème ou 5ème siècle (avant J-C bien sûr). En homme modèle, soucieux de rendre à ce mur sa pureté originelle avant le retour de mademoiselle, je décide de m'en occuper ... le lendemain matin avant son retour. Ma bonne excuse est que le radiateur disposé le long du mur a besoin de 24h pour assécher les cours d'eau qui se fraient un chemin dans le platre. Du coup, je retourne à ma quiétude paisible, occultant de ma conscience le mur mutant qui se tient dans mon dos et me regarde avec ses millieux d'yeux bactériens.

Vers une heure du matin, après un bon petit film, je me décide à rejoindre mes pénates après un petit crochet par la salle de bain. La tête enfarinée, l'esprit encore embué par les intrigues cinématographiques de ma soirée, je soulève nonchalament le couvercle du trône tandis qu'une nouvelle cascade prends pour cible mes charentaises. Ce contact froid et humide réveille l'adrénaline de mon organisme : en deux temps trois mouvements je me rends compte que le pot de cire de mademoiselle, le panier où repose mon rasoir, le dentrifice, ont tous décidé de s'offrir un bain sur le couvercle du réservoir.

Regard ascensionnel - gouttes chauffe-eau - chauffe-eau qui fuit ? - non chauffe-eau neuf ne fuit jamais (théoriquement) - regard ascensionnel bis - gouttes plafond - condensation plafond ? - non, reste du plafond sec, donc voisin du dessus ...

Et là j'achève d'émerger, ramené à la dure réalité des choses matérielles de ce bas-monde : le voisin du dessus (dont le fils me doit 40 euros au passage) se suicide dans sa baignoire, noie son fils indigne dans la cuvette des toilettes, fait une bataille d'eau avec sa copine ou, hypothèse plus plausible, a une fuite d'eau.

Dilemne cornélien : soit je risque de réveiller mon voisin à une heure à ne pas mettre un voisin dehors, soit j'adopte la technique du seau qui consiste à vider toutes les 6 heures le récipient qui déborde et j'attends le lendemain matin pour mettre à exécution simultanément toutes mes résolutions d'homme à tout faire.

Option deux l'emporte ; je vais au lit avec un bon livre et je ferme la porte de la salle de bain pour ne pas entendre les gouttes qui narguent ma conscience avec un ploc-ploc sinistre.

Réveil matin 10 heures, j'me réveille comme une fleur ... qui fâne vite au souvenir de la tâche qui m'attend. Résultat : je frotte les murs durant deux heures, en faisant de jolis rond noirs de moisissures avant d'atteindre quelque chose qui ressemble à du blanc; par endroits la peinture a décidé de se prendre pour un dragon qui perd ses écailles et en d'autres endroits inaccessibles à mes coups d'éponge rageurs, des cavernes obscures continuent d'abriter les moisissures rescapées qui n'attendent que l'heure venue pour étendre à nouveau leur pouvoir sur le monde. Mais je veillerais à ce que plus jamais elles ne reviennent troubler ma paix dominicale !

Quant à la fuite, le voisin du dessus n'a aucune perte d'eau et suppose que la fuite se serait vicieusement hébergée entre nos deux étages, dans les conduites préhistoriques qui courent derrière les murs. La proprio va donc solliciter le plombier dès que faire se pourra, afin qu'il ravage l'appartement du dessus élucide le mystère du plafond qui pleure.

Bon, après ce petit intermède diaristique, je m'en retourne à l'éponge et la balayette, car il ne me reste plus que 4h35mn15s avant le retour estimé de ma demoiselle.