(Christophe Vacher)


Tu vas encore me dire que je ne suis pas raisonnable lorsque tu vas voir l'heure à laquelle j'aurais publié ce texte mais je crois qu'après les mots pesants de cette soirée, je pourrais veiller des éternités pour exprimer tout ce qui me tient à coeur.

J'entend souvent dire qu'on ne dit pas assez aux autres comme on les apprécie, comme ils nous tiennent à coeur et que jour après jour l'on voit ceux-ci s'éloigner. Mais de jour en jour ce ne sont pas les mots que je ne dis pas qui les éloignent, c'est ce qu'ils font de leur vie qui les éloigne de moi, qui finit par me dissuader de dire quoi que ce soit, comme si j'attendais simplement que cette lente dérive emporte au loin ce qui en un temps fut un enthousiasme de moments partagés et qui aujourd'hui ne devient plus qu'un souvenir. Je ne crois pas que j'aie envie de réchauffer des braises lorsqu'il n'y a pas toujours de quoi alimenter encore le feu tel qu'on le faisait gaillardement avant.

Il y a tant de choses que j'ai omis de dire et qu'il est bien trop tard pour exprimer à présent; j'ai laissé bien des embarcations rallier de nouveaux rivages. De temps en temps j'hèle le large, comme si je pensais que les demi-tours existent dans l'existence. La vie est faite parfois de nouveaux départs mais jamais de recommencements : on ne recoud pas les morceaux, on les associe avec un fil et une étoffe renouvelées éventuellement.

Des regrets ? Comment regretterais-je ce que ni moi ni les autres n'avons tenté réellement de réaliser ensembles, occupés que nous sommes tous à souffler dans nos bulles pour tenter de les faire décoller; on se rassûre souvent avec l'idée qu'une fois dans les airs, on invitera les laissés pour compte à bord ... un beau jour ... peut-être ...

L'existence est une histoire de phases et l'erreur est de vouloir absolument maintenir une continuité lorsque rien ne la fonde plus. Le jour venu, l'oopportunité et le vécu faisant, les chemins qui se séparent se recroisent et c'est à ce moment là que, enrichi d'une tranche de vie, on partage à nouveau la même tablée ...

Combien de personnes m'ont invité à faire des activités sans réciprocité, simplement parce que je ne pouvais leur proposer des choses qui, au fond, ne me correspondaient pas véritablement. A combien de personnes j'ai en revanche proposé le partage de moments simples qui n'ont jamais vu le jour ? A croire que tout ça se mord la queue ...

Les amitiés ? Je crois qu'elles sont spontannées ni plus ni moins, le reste c'est de l'arrangé ou du réchauffé, de l'artificiel ou du superficiel.

Mais je souris de savoir chacun sur un chemin d'accomplissement de ses espérances, un matin ça sera mon tour et il ne restera plus que les rues et cet endroit pour se souvenir de tout ça; je prendrais mon sac sur le dos, celle que j'aime par la main, et nous glisserons la clé sous la porte puis nous courrons le monde qui nous attend patiemment ...

Et nos projets communs et passés ? Tout ce que nous projetions ici et là ? Et bien, pourquoi pas dans un autre lendemain ? On a le temps non ?

Pour l'heure j'ai la tendre certitude qu'un être m'aime quelque part dans cette nuit paisible, dans sa fragilité, sa douce étrangeté, un être qui m'est complémentaire et très précieux. Je voulais qu'elle le sache parce que je ne suis pas toujours facile à vivre et encore moins à comprendre ou à suivre ...

J'ai besoin d'elle parce qu'elle est l'ancre qui attache mon embarcation folle à un peu de raison, elle est la présence qui manque à mon néant récurrent. Vous pourrez toujours ,nous juger, chercher à comprendre, vous ne verrez jamais que la moitié de la vérité qui relie nos coeurs entre eux : une sortie de folie douce et nécessaire, ce zeste d'infantilisme qui échappe au regard critique adulte et un soupçon de marginalité qui nous éloignera toujours un peu des autres autant qu'il nous rapprochera mutuellement.

Et si un jour vous ne retrouvez que les meubles, les paperasses, l'argent et toutes ces vanités matérielles, c'est que nous serons partis faire joujou quelques temps sur un rivage d'une folie très lointaine ...

Elle et moi ...