(Michael Whelan)

Etrange sentiment de se retrouver à nouveau devant la page blanche.

J'ai choisi cette image parce que j'y trouvais une harmonie silencieuse, sentencieuse; une arche donnant sur cet infini qui marie terre et ciel avec juste une ligne droite qui s'élance vers l'horizon.

C'est un peu l'impression que je retire de ma vie ... toujours ce sentiment de suivre la même ligne vers un horizon inconnu, uniquement intuitif. Et jalonnant cette route mystérieuse quelques arches pour marquer un point de passage décisif. Je change, j'évolue mais au fond je sais que l'essentiel reste identique à lui-même : un équilibre fragile entre des traits divergents pour ne pas dire contradictoires mais qui se sont associés autour d'un compromis, tant bien que mal. Et cet étrange équipage, hétéroclite se retrouve comme comme un aimant entre deux forces opposées : poussé de l'avant invariablement, oscillant entre les extrêmes, tantôt attiré par l'un tantôt par l'autre et ainsi indéfiniment ... comme une sentence pesant au-dessus de chacun de mes pas ...

Je me demande dans quelle mesure la psychologie a profondément modifié la société ...

Je me suis souvent demandé ce qu'était la société avant qu'on n'offre au plus grand nombre ces outils de remise en cause et d'analyse personnels. Quels étaient les préoccupations des hommes avant qu'on ne leur donne des noms à poser sur leurs névroses, psychoses ? Dans quel mesure la connaissance d'un mal le conditionne-t-il ? Et à quel point a-t-on fabriqué et entretient-on ces maux que l'on identifie ?

Notamment je repense à un article lu sur le seuil de résistance à la douleur douleur plus ou moins élevé auquel un homme sait faire face. Je lisais que les la morphine était de plus en plus fréquemment utilisée en raison d'une diminution progressive de la résistance physique à la douleur dans une société où les conditions et le niveau de vie se sont élevés à un point que l'expérience de la douleur n'a plus du tout cette dimension omniprésente qu'on pouvait lui trouver il y a encore deux siècles (lorsqu'on n'utilisait pas les anesthesiants et que les maladies étaient encore une cause principale de mortalité avec la guerre).

Cette remarque m'a amené à m'interroger sur le seuil de résistance à la souffrance psychologique de l'homme dans notre société actuelle. En effet, on ne peut s'empêcher de se demander si tout cet appareillage psychologique et médicamenteux, pédagogique, psychiatrique, etc. n'a pas finalement amené une plus grande fébrilité et fragilité psychologique. A des époques rudes et ingrates où la survie de l'individu était étroitement reliée à celle du groupe, où l'être humain de faible condition sociale était soumis à une contrainte quotidienne forte de son existence (par les maladies, les guerres, la famine, la violence sociale, la servitude, etc.).

Aujourd'hui les psys font recette, les livres de développement personnel se vendent comme des petits pains et chaque accident voit arriver un psychiatre; parallèlement l'enseignement adopte une pédagogie de l'enfant qui frise le ridicule en bien des circonstances puisque d'un côté on voudrait mettre les enfants dans un cocon doré mais de l'autre on ne les prépare pas à l'agressivité du monde du travail qui les attend à la sortie de leur parcours scolaire. Beaucoup d'adolescents, je pense, se retrouvent ainsi confronté à une réalité qui diffère du tableau que leurs dépeignent les manuels scolaires et, conscients de ce paradoxes mais démunis (dans toutes les cultures il y a eu des rites initiatiques  différentes périodes de la vie qui l'ouvraient à l'expérience et la connaissance par palliers progressifs) face à un monde qui apparaît si violent et ingrat par rapport à l'enfance souvent protégée qui a précédé cette prise de conscience. Au final je crois qu'on ne forme pas des adultes responsables mais des grands enfants qui tentent tant bien que mal de deviner les règles du jeu ou d'imposer les leurs.

C'est évidemment une vision très personnelle et inaboutie mais j'ai la forte intuition que la psychologie fait avant tout office aujourd'hui d'anesthesiant pour un mal de société profondément enraciné, le mal des individus auquel on assigne une place avant de leur offrir les outils pour se forger une identité (non pas que ça n'a pas été le cas avant mais il y avait toujours cette autorité culturelle et réligieuse pour affirmer une appartenance d'un individu à un groupe social).

Après cette petite digression j'en reviens brièvement à moi et à ma position par rapport à ce que je viens d'exprimer. Je suis conscient de faire les frais également de cette crise identitaire : chaque jour je m'interroge sur l'homme que je suis et, sans religion, sans appartenance culturelle forte, bilingue, eclectique, je me rends compte que je suis multiple, balloté tantôt par un courant, tantôt par l'autre selon l'humeur du jour. Un jour je me sentirais cynique, pragmatique et egocentrique voile mégalomane et le lendemain je me sentirais serein, empli d'humilité, altruiste, etc. ... il y a toujours ces convictions profondes qui forment le point d'ancrage de ma personnalité mais leur interpétation ne sera pas la même du jour au lendemain. De plus je suis fortement imprégné par deux années de philosophie, des notions de psychologie maternelle. Au final je me retrouve souvent à manquer de spontanéité et à me sentir dans la peau d'un autre qui jouerait son rôle.

Je me vois obligé d'agir uniquement de façon intuitive et sans me projeter vers un horizon qui ne m'apparaîtra pas le même aujourd'hui qu'hier ou demain. D'où mon sentiment de suivre une ligne droite : celle, inchangée de mon intuition appuyée elle-même sur les racines profondes et constantes de ma personnalité. Ne changent que ces arches qui jalonnent mon parcours et marquent chacune une étape importante. Ma vie ne prend pas de tournants, elle prend simplement des élans à un moment donné, des élans qui me révèlent à moi-même à chaque fois un peu plus. Et au final je parviendrais là où me conduit tout naturellement ma nature je pense. J'avais tendance, durant des années, à rejoindre cette idée selon laquelle on tourne indéfiniment en rond et qu'on reproduit éternellement les mêmes schémas. Et puis j'ai cru que j'avais fait une rupture et que j'avais emprunté une ligne continue en brisant le cercle; or je crois que ce sentiment de répétition provient tout simplement du fait qu'on agit toujours selon une référence précise et constante : notre personnalité profonde. Après je crois qu'elle ne connaît de modification véritable que si une rupture intervient et nous perturbe et déséquilibre profondément au point de forger une nouvelle vision des choses à partir d'un sentiment fort (amour-haine).

 Je ne crois pas en une destinée pour autant ... j'agirais certainement toujours selon ma personnalité et mon intuition mais cela face à des contraintes et évènements totalement contingents ... la finalité est plus spirituelle (l'accomplissement personnel sans connotation religieuse ou ésotérique mais comme un aboutissement de la satisfaction de soi et de l'existence construite) que réprésentée sous la forme d'un point B où j'arriverais fatalement en étant parti du point A.

Voilà, petite réflexion comme entrée en matière de ce nouveau joueb ...