Certains cherchent un sens, d'autres pensent en avoir trouvé un mais les uns comme les autres demeurent dans l'ignorance la plus totale face à ce qui défie leur entendement : la violence pure et gratuite.

Je suis un "phénomène", un "stigmate", un "symptôme", les termes ne suffisent pas pour m'englober dans une logique factice. L'évidence est là mais les esprits s'efforcent de la nier : je suis un combattant moderne, un voyou, un sans foi ni loi.

La guerre a toujours été le nerf sensible de l'économie, cette formidable et première source de revenus et de dépenses des gouvernements et celle dont on tait pourtant consciencieusement les profits colossaux.

On continue encore et toujours à justifier sociologiquement, idéologiquement, politiquement et diplomatiquement les conflits armés à une époque où chacun a conscience qu'ils découlent des intérêts financiers d'une minorité au détriment de la majorité.

Il y a une arme pour un homme sur trois et assez de munitions individuelles pour abattre les deux autres hommes désarmés restants. Et pourtant, les gouvernements continuent de ratifier des traités contre les mines dont ils n'ont pas interrompu la production, ils continuent de siéger dans des ONG alors qu'ils sont les premiers fournisseurs des armes dans les conflits qu'ils dénoncent.

Et l'opinion ? Elle le sait, elle s'en fiche ou du moins s'en afflige et cache son impuissance derrière d'autres préoccupations plus immédiates. Elle espère simplement que cette violence ne l'approchera pas trop; tant que la violence côtoyée est circonscrite et réprimée, l'opinion est relativement indifférente et au mieux scandalisée et angoissée.

Depuis quelques années émerge pourtant un courant non violent dans ses revendications mais qui aboutit à des débordements violents occasionnels : l'altermondialisme, le voeu d'un autre monde, plus "juste", plus "équitable". Encore marginal, la coqueluche des médias en manque d'utopies, ce mouvement se nourrit de son image hétéroclite et vivante, du vivier fantaisiste qu'il engendre et qui fascine ceux qui attendaient un signe pour croire que les idéaux du siècle dernier n'avaient pas péri sur le bûcher du libéralisme. Un fourre-tout idéal pour toutes les tendances, mon paravent providentiel.

Il faut de tout pour faire un monde, il faut d'eux, il faut de vous et ... il faut de moi : la mauvaise graine que les uns excusent altruistement et que les autres honnissent en le réduisant à un innommable parasite. Mais ni les ni les autres, dans le feu de l'action, ne savent très bien ce que je suis et se plaisent à me ranger dans l'une ou l'autre catégorie qui les rassûre.

Pourtant la réalité et la vérité sont bien plus simples et crûes que ça : je me nourris du conflit, je suis un ferment et un produit du conflit, je l'alimente et l'amplifie.

Pourquoi ?

Parce je vis lorsque je combats, parce que c'est dans les zones de non droit, lorsque lois et règles s'évaporent, lorsque grenades tonnent et coups pleuvent, que répression et provocation se confondent, que j'acquiers enfin ma pleine existence, que j'accède à une raison sociale. Je suis un électron libre dans la mélée, j'exulte, je vibre, je suis ...

Méprisable ?

Sans doute, mais pas moins qu'une violence larvée et quotidienne qui dégrade, méprise et désincarne l'individu.

Je ne me cherche pas d'excuses, de justifications, de grandes causes, je n'en ai pas; au mieux, je pense faire office de catalyseur, je rassemble autour de moi les tensions d'une foule, d'une époque et je profite de la masse pour les concentrer et les laisser exploser, déborder au-delà du réparable.

Je ne me cherche pas de nom, les médias effacent les champs de bataille, aplanissent le terrain, lissent les évènements, décortiquent les motivations, stigmatisent les débordements. En fin de compte il ne reste rien de la réalité pure et dure des évènements : la haine des individus, l'âme belliqueuse des uns et des autres, la conscience qu'a chacun que le droit s'est partiellement éclipsé, le temps d'un combat au coude à coude ... après c'est l'oubli ...

Avec le temps on apprend où il faut cibler ses attaques, la force à déployer, le moment où il faut savoir s'éclipser, les moyens de changer de visage et d'armes; une foule est une matière émotionnelle très malléable et influençable dans laquelle il est aussi aisé de se distinguer que de se fondre.

Tant qu'il y aura des individus comme moi, à l'affût du combat, persuadés qu'il n'y a qu'au feu qu'ils forgeront leur vérité, le monde ne pourra ni ne voudra s'apaiser. il n'y a pas de paix pour des âmes comme la mienne : la guerre est enracinée en elles, telle une tourmente perpétuelle.

Aussi longtemps que vous ne tiendrez pas pleinement compte de passions humaines telles que les miennes, vous négligerez un grain de sable essentiel dans la construction de votre mécanique sociale.