Avant-propos : toutes mes excuses pour cette suite si tardive mais j'avais besoin de m'imprégner de quelques coutumes british avant de poursuivre cette aventure, en espérant qu'elle vous plaira. Place à l'histoire :) !

Des flots humains fendent la brume en venant du tube qui émerge à la nouvelle station de Piccadilly Circus et remontent l'avenue de Piccadilly en s'engouffrant dans l'un ou l'autre des nombreux commerces dont les vitrines plus illuminées les unes que les autres font assaut de tentations à l'approche du Christmas' Day. Je me sens étrangement léger malgré l'insolite présence à quelques pas devant moi de mon mystérieux visiteur. Les regards s'attardent, tantôt amusés, tantôt méprisants, sur la tenue singulière de mon hôte tandis que j'hume avec envie les doux fumets qui s'échappent des restaurants.

Nous dépassons Hyde Park Corner et les merveilleuses décorations des vitrines d'Harrods of Knightsbridge colorent le smog d'innombrables chatoiements tandis que ces dames de la High Society vont et viennent dans leurs fourrures et bonnets élégants, entre l'établissement et les taxis qui stationnent en nuées sur Brompton Road. Mon guide, à ma grande surprise, s'y engouffre à son tour sans s'assûrer que je le suis toujours. J'avais certes l'appétit creusé mais un modeste en-cas m'eût suffit à repousser la fringale; l'idée que nous puissions dîner à Harrods me sembla totalement incongrue et je craignais qu'on ne nous refoule d'entrée ...

Notre ami traversa moults rayonnages du prestigieux magasin avant que nous nous retrouvions entourés des magnifiques jouets en bois que les enfants de la Royal Family eux-même affectionnaient pour leur excellente facture. Soudain je me pris à douter de la santé mentale de notre ami qui s'avançait toujours plus avant entre les destriers à bascule et les castels de bois pris d'assaut par de très belles figurines. Mais rapidement je fus pris de passion pour un univers qui me replongeait dans mon enfance : les poupées, les oursons, les maisonnettes, les tapisseries, les dragons, les kobolds ... les kobolds ? Mais où étais-je donc arrivé ? A présent les rayonnages s'élevaient très haut au-dessus et des personnages aux habits d'Harrods s'agitaient sur des échelles vertigineuses tandis que des femmes et hommes très étrangement vêtus farfouillaient dans un entrelacs extraordinaires de jouets. L'allée elle-même semblait infinie au-devant et le bout lointain à l'opposé. Des ouvertures offraient à des passerelles des passages vers les allées voisines au -dessus de ma tête et de petites portes claquaient avec les allées et venues frénétiques des magasiniers chargés d'objets extraordinaires.

Ce n'est que lorsque je vis passer un employé avec un haut-de-forme de près de 40 pouces, d'un bleu nuit, que j'osai interpeller mon hôte :

- Dites-moi Sir, suis-je l'objet de visions ou sommes-nous bien environnés d'un extraordinaire amoncellement de jouets ?

Il me répondit stoïquement tout en avançant toujours

- L'autre-côté est différent un petit peu ...

Un petit peu différent ? J'avais le sentiment d'avoir absorbé malgré moi les substances illicites de Brilliant Chang et d'être sujet à des hallucinations. Pourtant c'était bien moi l'incongru ici au milieu des palaces miniatures, de peluches et de figurines sorties de mythes de tous horizons, sous la lueur des bougies fixées au long des rayons.

Mon guide me fit passer par une porte calée entre deux donjons de bois et sous un dragon de plumes, et l'atmosphère d'avant-fêtes de l'autre côté se trouva échangée contre une ambiance tamisée : les rayonnages portaient d'innombrables boules posées sur leurs socles ou suspendues, de toutes formes, tailles, allant de l'envergure d'une boule de cristal jusqu'à celle d'une bille. Mais chacune de ces boules avait son traditionnel petit crochet et s'ornait de motifs absolument sublimes; tantôt mats, tantôt brillants et le tout était irradié de la diaphane lueur des essaims de lucioles accompagnant les insolites visiteurs du ... magasin ? Ici les chandelles étaient discrètes et espacées, de sorte que je m'imaginais cheminer dans un dédale féérique, subjugué par la beauté d'une myriade colorée de reflets scintillants. J'avais laissé le souvenir du light meal derrière moi et me laissais entraîner, tel un enfant curieux, dans cet univers incredible ...

Nous parvînmes finalement devant une nouvelle porte située au bas d'un petit escalier s'enfonçant sous l'une des parois de l'allée. Et il se tourna vers moi tout en ouvrant la porte gravée d'un sablier finement ouvragé et souffla si bas que je l'entendis à peine :

- Voici le temps ...

Mon regard passa le seuil et j'étouffai un cri de stupeur :

- Oh my dear lord !