Les jours passent vite, très vite quand on tente de s'inscrire un peu dans le présent; trop lentement quand on regarde en avant, vers l'avenir à plus ou moins long terme.

Envie de profiter du présent mais d'autres priorités m'appellent et me poussent à construire et réaliser l'avenir. Du coup l'appel du lendemain, le besoin de me projeter et de vivre d'ores et déjà ce qui m'attend de beau, m'amène à une sorte d'impatience constante.

Je souris intérieurement quand je lis ces incitations à vivre le présent qui me ramènent à mes propres injonctions passées, quand je vois d'autres figés dans une langueur qui m'a paralysé durant mes années adolescentes.

Aujourd'hui les perspectives s'ouvrent, j'ai des buts plus précis, des rêves plus concrets et pourtant tout ne me semble encore que provisoire, comme si tout ce que je fais à présent n'était qu'une étape initiale d'aboutissements bien plus lointain. Ma vie ne s'envisage plus seulement sur des rêves pour les quelques années qui suivent mais sur une existence entière.

Des conceptions telles que le bonheur, le bien-être des autres et le mien, l'idéalisme, les réalisations humaines et altruistes qui enflammaient mon imagination il y a encore peu, prennent un visage plus défini : je sais où je vais et comment j'y vais et les grandes idées deviennent autant de puzzle complexes où chaque projet est une pièce qui doit être savamment imbriquées aux autres.

Que ce soit pour elle que j'aime, que ce soit pour mes convictions sociales et politiques qui m'importent, pour les univers fantastiques qui me semblent une des clés des rêves actuels dans un contexte social de plus en plus réglementé et institutionnalisé, normalisé même, ou encore pour une vision d'enfance et d'adolescence qu'il me semble essentiel de conserver malgré sa naïveté, j'ai un projet de vie qui ne s'arrête pas à des responsabilités familiales, civiles, légales, professionnelles : l'avenir est un chantier d'idéal, une utopie personnelle qui, à défaut d'être nécessairement réalisable, se doit d'être réalisée (un peu paradoxal mais je suis persuadé que l'impossible ne se trouve qu'au terme de tous les efforts qu'on a consenti pour le repousser).

Le plus difficile, je crois, est de faire abstraction de toutes ces vexations et frustrations qui donnent trop souvent au monde environnant un masque mesquin et sans relief, une sorte de décors fade dans son ensemble et magique dans ses trop rares exceptions. Mais l'erreur c'est de donner prise à la banalité tout en lâchant prise dans ses propres efforts vers l'exception qui infirme les règles. Se contenter du peu, de la facilité par paresse ou par confort offre une vie convenable mais fait toujours passer à côté de l'extraordinaire (que ce soit parce qu'on n'y prête plus assez attention ou tout simplement qu'on évolue dans un environnement qui est l'image de notre propre passivité).

Maintenant il est évident qu'il y a un passage obligé par un certain nombre d'obligations rébarbatrices et ingrates avant d'aboutir aux gratifications attendues. Mais dans celles-là même il est nécessaire de donner le mieux de soi-même et ne pas se contenter du moins, sinon comment espérer parvenir à l'exception et l'extraordinaire dans notre existence si nous n'en posons déjà pas les fondements par notre attitude quotidienne ?

J'ai mis du temps à accepter cet état des choses et à ne pas ressentir le besoin brûlant de tout plaquer pour aller à l'aventure : j'ai mis tout simplement du temps à comprendre que cette décision appartenait à ceux qui n'ont rien qui les retient et que tout pousse vers ailleurs. Or trop de choses qui m'importent m'attachent à réaliser une partie de la construction de mon existence ici. J'ai besoin de préparer un certains nombres de garanties et d'alternatives avant d'investir toutes mes énergies dans une aventure sans retour. C'est ce que je m'efforce de réaliser aujourd'hui même si mon impatience et mes frustrations me font souvent regretter de ne pas pouvoir emplir mes poumons d'un air immaculé de tous reliefs de civilisation et me rendent très sensible ou susceptibles aux défauts de politesse, de respect et de compréhension de ceux qui m'entourent de près ou de loin : je transpose un peu trop dans mes attentes l'idéal qu'un nombre insuffisant d'outils encore m'interdit de réaliser pour l'heure. Mais je suis intimement convaincu que cette faiblesse de caractère sera très bientôt diluée dans un certain nombre de gratifications, relationnelles, sentimentales, professionnelles ou personnelles ...

Chaque chose vient en son temps pour qui sait l'attendre (pourvu qu'on n'attende pas qu'elle survienne d'elle-même sans un seul effort personnel). J'attends mon heure et je ne doute pas qu'elle arrive, je doute seulement parfois qu'elle le fasse aussi rapidement que je l'appelle de mes voeux ...

Wait and see and live what you can live ...