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Il n'en pouvait plus de marcher ainsi sans vivres et chargé d'un paquetage pesant sous le regard stoïque d'un Limiestre cheminant calmement à son côté, drapé légèrement sous les feux croisés des deux astres d'Obonis. Il ne savait plus combien de pas l'éloignaient à présent du refuge des cavernes d'Otroxis, il n'osait pas tourner la tête, de peur de n'appercevoir plus que cette steppe fissurée par la sécheresse tant derrière que devant et sur les côtés. Comment le Limiestre pouvait-il, malgré son absence de chargement, sembler indifférent à l'air brûlant qui lui arrachait la gorge et consumait chair et entrailles . Il s'arrêta et tomba sur la terre à genoux, ne résistant pas à prendre l'outre pour s'abreuver enfin. Le Limiestre se tourna vers lui.

- Cette eau que vous buvez alors qu'il vous reste des forces est une eau qui vous fera défaut lorsque vous les sentirez vous quitter. Ici votre ennemi est le ciel, la terre, le feu et contre ces trois là vous n'avez que l'eau comme alliée. Vous offrez vos genoux à la terre, vous vous inclinez devant le ciel et cédez aux harrangues du feu tout en avalant goûlument votre seule alliée; Ne perdrez vous pas des forces en tentant de vous extraire de la terre, en brisant votre élan face au vent et en habituant votre organisme à être si tôt récompensé lorsque le feu le consume ? Que vous reste-t-il comme réconfort dans votre cheminement à présent que votre eau n'est plus là pour accompagner la détermination de vos pas ? Vous pensez que je suis là et que vous ne risquez rien car je saurais vous secourir mais pensez-vous qu'ici, loin de vos terres natales riches et pourvues, loin de votre demeure confortable et de votre vie assistée et nantie, vous jouirez de ce même privilège ? Pensez-vous que je risquerais ma vie en vous portant alors que n'avez su économiser la votre ? Tant que vous aurez en vous cette résignation et que votre être ne sera pas habité par un esprit déterminé à lutter jusqu'à son terme, vous serez vulnérable. Ici vous ne pourrez pas vous laisser-aller à une passivité oisive, c'est un luxe que nos régions hostiles n'autorisent pas. Il n'y aura personne pour entendre les excuses que vous donnerez à votre démission, les seuls juges sont ici la terre, le ciel et le feu et leur sentence sera sans appel. Dans vos cités dorées vous pouvez vous permettre les caprices de l'âme mais sachez qu'ici aucun de vos compagnons ne tolèrera les tourments de votre coeur; de la responsabilité et la détermination de chacun dépend la vie des autres. Ce ne sont pas les âmes ramollies des cités qui sauront opposer une résistance acharnée à l'adversité, ce ne sont pas ces âmes qui disposent du luxe de la résignation et du fatalisme qui sauront assûrer la pérénité de nos existences, ce sont bien ces êtres que vous voyez ici, forgés par le feu dans le creuset de la terre et durcis au souffle brûlant de l'air, qui sauront tenir les armes pour défendre nos cités des invasions. Dites-vous que si ici vous mettez genoux à terre, inclinant du chef devant un ennemi immobile, vous ferez de même devant celui qui vous ôtera la vie du tranchant de sa lame. Je ne vous porterais que lorsque votre esprit aura accepté de défier jusqu'à la mort pour vivre, seulement là je considèrerais que vous avez servi ma vie comme la votre en épargnant la mienne et en défendant la votre jusqu'à son dernier souffle. Dans l'existence les fruits du labeur seront toujours plus amers que dans vos espérances et ce n'est que si vous décidez d'aller cueillir ceux qui mûrissent sur les cimes de l'arbre (au risque de choir) que vous ferez de riches récoltes, sinon vous ne serez jamais que déçu, habitué à l'amertume du fruit et convaincu d'être un piètre jardinier lorsque d'autres vous paraîtront faire de meilleures récoltes. Si préférez laisser votre existence vous échapper, dites-le moi à présent, je vous épargnerais bien des déceptions et tourments futurs en vous laissant ici. En revanche si vous êtes déteminés à vivre, n'attendez pas avant de le démontrer et relevez-vous puis marchez jusqu'à ce que ce soit votre corps qui décide des limites atteintes et non votre esprit qui les présuppose !

Péniblement il se releva et marcha droit devant lui, vers un horizon sans refuge, le Limiestre dans son sillage, un sourire aux lèvres ...