C'est au coeur de la nuit, quand il ne reste plus qu'isolement et silence que l'écriture trouve véritablement sa place sous mes doigts qui courrent alors librement sur le clavier sans plus se soucier d'impératifs ou de délais, d'attentions à avoir pour untel ou de soucis pour telle autre raison, juste un sentiment de pleinitude et d'indépendance.

C'est l'heure où on met ces musiques aux voix douces et plaintives, ces accords de guitares qui pleurent et chantent mélancoliquement ou doucoureusement selon les soirs, selon l'humeur de l'heure où la plume les prend pour muses ...

Les doigts n'hésitent plus, les pensées ne quêtent plus cette parcelle d'inspiration qui va pouvoir leur offrir un florilège d'émotions ou de sentiments à enfanter; tout est là et prend naissance spontanément sans efforts, sans que l'esprit ne s'évertue à soumettre le sens à des tournures choisies. Ce sont des confidences brutes, à nu dans le cocon d'une semi-obscurité à l'ambiance tamisée.

Ce soir j'ai encore voyagé au gré des liens et je vois des fermetures, des ouvertures, des douleurs larvées et des sourires retrouvés, voisins et souvent ignorants les uns des autres par défaut ou par aveuglement. Des mouvements souterrains au grand océan humain et qui tantôt font écumer, tourbillonent furieusement, tantôt s'évasent dans un ressac désillusionné ou tantôt se lissent et s'offrent aux tons chamarés d'astre levant ou déclinant. Tant de courants contraires qui agissent les uns sur les autres imperceptiblement et forment l'imprévisible quotidien.

Armé de mon épuisette d'enthousiasme je tamise laborieusement les flots denses et troubles, pour séparer le bon grain de sable de l'ivraie, persuadé que de la vase on extrait les énergies fossiles qui sauront alimenter le moteur en s'y consumant ...

Et, tout à mon ouvrage je me rends compte que la prospection en plus d'être de longue haleine (ce que je savais déjà) est une démarche en grande partie solitaire puisqu'elle demande autonomie et investissement singuliers conditionnés par des motivations et une volonté personnelles. Celles-ci sont rares quand elles ne sont pas astreintes à des obligations mais spontannées. Lorsqu'il s'agit d'oeuvrer par soi-même, de créer ses propres directives et ses propres contraintes de travail, je me rends compte que les énergies sont dissipées, dispersées et erratiques.

Pourtant la construction d'une vie demande cette très grande capacité à concentrer les énergies à une tâche et à savoir les entrenir. Or j'ai le sentiment que le système éducatif lui-même ne forme pas à l'autonomie d'initiative et de créativité mais plutôt à l'obéissance servile à des obligations artificielles destinées à former plus généralement que spécifiquement et utilement. C'est sans doute ce qui renforce le succès des filières technologiques et pro, du fait qu'elles lient savoir et pratique de façon visible et sans doute plus gratifiantes au regard de l'apprenti tandis que l'enseignement général ne s'encombre pas de se justifier et se contente d'être présenté comme une contrainte pure sans justification concrète fournie parallèlement. Comment s'étonner alors d'une démission généralisée de la motivation quand le sens lui-même a déserté l'école avec la crédibilité et l'autorité des enseignants (eux-même désillusionnés pour beaucoup dans l'exercice de leurs "fonctions"; puisqu'il ne s'agit en fin de compte plus que d'assumer une fonction et non plus d'offrir un bagage pour la vie comme on pouvait le croire auparavant). Le savoir a perdu de sa reconnaissance puisqu'aujourd'hui ce n'est pas lui qui est privilégié dans l'intégration et l'ascension sociale mais la consommation et l'acquisition de biens par l'apprentissage et l'obéissance soumis (et déchargés d'une conscience sociale collective par l'ambition individuelle)..Mais je ne veux pas tomber dans cette facilité actuelle qui dénonce à tout va et prédit le déclin depuis les origines : tout ne va pas mal ou pis contrairement à ce que la morosité se répète inlassablement pour s'excuser de son inertie et de son renoncement; tous les jours des choses sont mises en chantier, se construisent, des groupes de personnes s'activent autour de projets enthousiastes pour le loisir et le bien-être commun, mais le désenchantement (le spleen) qui a gagné les classes sociales moyennes (fonctionnaires et employés), celles qui forment le squelette de l'organisation sociale, fait écran à toutes ces initiatives heureuses et pollue l'air respiré par tous par sa densité négative. Et je crois que la réelle gravité réside dans le fait que c'est l'adolescence qui intègre pour une grande part cette négativité et la perpétue puis l'amplifie dans une débauche de violence d'expression. Je ne pense pas que cela diminuera l'enthousiasme qui naîtra dans cette génération comme les suivantes mais lui fera obstacle et violence par jalousie et frustration jusqu'à l'affrontement.

Je ne peux que spéculer naturellement et m'appuyer sur mes propres constats, à mon seul niveau : l'enthousiasme que j'essaye de développer trouve vite son obstacle dans la démission qui l'environne et dans la dissipation de mes propres efforts pour le conserver et lutter contre l'inertie contagieuse. Pour être totalement honnête, je tente de m'extraite d'années de démission et de laisser-aller en mettant enfin en oeuvre une réelle motivation (et cela sans me laisser dériver par les petits pêchés mignons qui deviennent rapidement une excuse confortable pour remettre au lendemain sous couvert de lassitude et repos mérité). Vient tout simplement un moment où on ne se supporte plus dans l'inaction et l'indécision constante et où on ressent le besoin de réactiver les énergies engourdies; c'est ce sentiment qui m'anime en ce moment même si je crains de le répéter une nouvelle fois après lui avoir fait bien des infidélités avec le parjure de nombreuses résolutions passées.

  Maintenant, il y a malgré tout des changements positifs par rapport à avant : premièrement, je suis très amoureux et c'est réciproque (il me semble :-) et c'est quelque chose qui me pousse à vouloir penser ma vie au pluriel, et par conséquent à savoir précisément que mes efforts ne sont pas que pour moi-même mais pour un avenir avec des projets partagés (ça aide énormément); deuxièmement, ma situation se stabilise un peu et ça m'évite des soucis d'ordre financiers momentanément, ce qui soulage beaucoup pour se projeter vers des objectifs à plus long terme; troisièmement, enfin, j'ai à mes côtés quelques personnes en qui je peux avoir confiance pour partager des efforts relativement à plusieurs projets communs sans qu'on doive craindre constamment le découragement.

Ces changements me laissent envisager la mise en place de plusieurs projets de vie essentiels qui n'avaient eu jusqu'à présent que des esquisses et peuvent enfin éclore pleinement; j'en suis vraiment très heureux et satisfait. J'espère que cette dynamique se prolongera assez pour se propager.

Voilà quelques pensées spontannées illustrant mon état d'esprit du moment ...