J'ai toujours su voir, sentir et prévoir un certain nombre de choses à force d'avoir passé l'essentiel de ma vie à observer celle des autres plutôt qu'à vivre la mienne.

C'est un peu comme une proposition logique pour l'oeil du logisticien, il va enregistrer inconsciemment les prédicats puis examiner les connecteurs logiques et au final il en déduira la validité de la proposition ...

Je me regarde, je regarde ceux qui m'entourent, j'analyse, je pèse et soupèse, note inconsciemment tous ces petits détails qui forment les prédicats puis examine les relations comme autant de connecteurs logiques et au final j'en déduis une valeur de vérité ...

La seule inconnue, et de taille (mais pas autant qu'on pourrait le croire, tellement les schémas de comportements sont ancrés), c'est finalement la subjectivité qui défie ponctuellement toute logique (encore que ça me semble relativement rare, le chaos lui-même compose une certaine harmonie, un certain équilibre au final).

Je n'ai qu'à observer et je devine, je suis rarement surpris et quand je le suis je ne le suis jamais longtemps : je le suis jusqu'au moment où je mets le doigt sur cette infime petite inconnue qui m'avait échappé et rendait la personnalité d'untel ou untel insaisissable. Une fois cette inconnue trouvé, mon esprit engage un irrépressible mécanisme d'analyse qui me soumet froidement ses conclusions.

J'ai beau m'efforcer de relativiser et renier ces constats, je me rends compte avec le temps qu'ils sont rarement erronés, ce ne sont que les délais et échéances qui sont falsifiés. Pour cette raison j'évite au possible d'analyser les relations que j'ai aux autres, pour tenter de les vivre plus spontanément, je ne veux pas me retrouver dans cette position où je me retrouve complètement bloqué par mes conclusions, incapable encore de spontanéité.

Je me suis toujours battu contre cette fatalité que me soumet un esprit auquel j'essaie d'insuffler assez de folie pour qu'il ne me mène pas à la crise de nerf à force de me soumettre à ses incessantes spéculations sur tout et tous.

Seulement, quand mes analyses se vérifient, j'ai du mal continuer ce jeu de cache-cache, je finis par souffrir du fait que malgré mes efforts certaines choses ou personnes suivent comme un chemin tracé dont rien ne les dévie tant ils y sont conditionnés par eux-même ou par leur environnement.

J'espère sans cesse que les évènements me donneront tord à défaut d'être parvenu moi-même à changer cet ordre pressenti des choses. Jusqu'à présent ça a été très rarement le cas et je peux compter sur les doigts d'une demie-main les personnes que je connais et qui seraient susceptibles de ne pas obéir dans les grandes lignes à un schéma déjà conditionné par leurs a priori, leurs traits de caractère bornés ou leur fierté.

Je me surprends régulièrement à me projeter dans le futur des gens que je rencontre et me dire "ta vie sera ainsi et se déroulera comme cela"  et ce simplement après avoir noté les traits les plus marqués et les moins susceptibles de changer; je n'ai qu'à m'observer moi-même pour constater comme il est difficile de se démarquer de ces traits-là en connaissance de cause (à partir de ce soir je me promets de modifier un de mes vices, du moins que je considère comme tel, et de voir si j'aurais tenu cette résolution plus de deux mois par la simple force de la volonté, j'ai des doutes). On caricature la cigarette mais on ne se rend pas compte comme l'essentiel de nos traits de personnalité sont aussi difficiles à remettre en cause que ça semble l'être de cesser de fumer.

Mais je ne suis pas là pour dire à qui que ce soit des vérités qu'il ne voudra ou pourra pas entendre alors j'acquiesce tout en sachant pertinnement ce qu'il en ressort au final. C'est relativement cynique mais je conserve malgré tout une alternative : celle que si je parviens à changer ma propre destination, j'influerais nécessairement sur celle des autres et saurais comment agir sur tel ou tel facteur pour rendre courbes les lignes droites et les détourner d'une fatalité que je ne peux décemment accepter sans devoir sombrer dans les le tourment du nihilisme le plus absolu (je dis bien tourment même si le nihilisme voudrait qu'on ne ressente plus rien d'autre que le néant, parce que je ne pourrais m'y résoudre tandis que je devrais m'y soumettre; je finirais certainement par m'isoler de toute civilisation pour ne plus avoir à subir ce déchirement).

Aujourd'hui, si je paraîs mégalomane, un peu marginal parfois peut-être, idéaliste, c'est parce tout cela me procure le même sentiment que procure un mouvement chaotique au physicien : l'émerveillement de constater que tout n'est pas prévisible et qu'il reste par conséquent une infinité de découvertes à faire et de possibilités de créations ou de changements.

J'ai besoin d'avoir une vie qui ne rentre pas dans un schéma défini mais se tienne à cheval sur celles des autres avec le pari hasardeux qu'en influant sur les lignes droites elles finiront par s'incurver et former une infinité de nouvelles possibilités d'agencement de l'ordre des choses par leurs croisements inattendus.

Un espoir insensé dans un monde trop tragiquement sensé contrairement à ce que pourraient suggérer les apparences ...

Ma vie est une spéculation, en bref ...