(Michael Whelan)

La singulière multiplicité de cet univers attire mon attention la plus profonde. Il n'existe pas de plus pure beauté.

 Frank Herbert, L'empereur-dieu de Dune

 

Je me réfère décidément beaucoup à Frank Herbert ces derniers temps et je lui associe beaucoup des images de Michael Whelan, elles me semblent s'harmoniser le mieux à l'atmosphère dégagée par l'excellent Cycle de Dune et qui m'inspire beaucoup dans mes pensées du moment.

Cette image a été intitulée "L'inexorable équation". Et plus je progresse dans mes pensées vers une organisation rationnelle de l'existence, plus je comprends cette obsession qui a conduit certains à chercher frénétiquement une équation de toutes les choses existantes; je comprends ce qui a poussé tous ces philosophes à édifier des systèmes, ces mathématiciens à rechercher des axiomes à valeur universelle : le pouvoir de rationaliser le tout selon une clé unique, une clé qu'il suffirait de tourner pour s'ouvrir sur la compréhension de l'ensemble à partir de sa racine originelle, sa cause première. Bien sûr il y a ceux qui se sont pris de passion pour la méthode, la spéculation elle-même et qui s'attachent uniquement à la résolution d'une question précise plutôt qu'à la question essentielle, celle qui fonde toutes les autres : la question existentielle. Ceux-là ont depuis longtemps arrêté de s'interroger pour s'attacher à la seule résolution de problème Ax+B=C sans en rechercher particulièrement une application pratique.

L'homme qui ne connaîtrait rien à la mécanique, qui découvrirait pour la première fois une machine considèrerait certainement le fait que celle-ci éjecte un gobelet avec du café qui coule dedans comme un processus inexorable à partir du moment où il en aura constaté le phénomène un grand nombre de fois. De même, l'homme qui se tient face à la société et n'en a qu'une vision très restreinte, qui se résume à lui-même comme produit du système, aura une vision fataliste des choses à partir du moment où il rentre dans une routine dont rien d'extérieur ne semble pouvoir l'en détourner. Or dans un cas comme dans l'autre, si une avarie intervient, l'homme considèrera ça également comme une fatalité.

Ce que j'essaye d'illustrer là c'est le fait que la majorité des gens, je pense, s'enferme dans une vision fatalise des choses dans laquelle ils ne se laissent absolument aucune alternative puisqu'ils se seront interdits de supposer que les choses puissent fonctionner autrement.

C'est un peu comme si vous vous teniez face à ce mur et que vous vous persuadiez que la seule issue est dans cette ouverture qui vous fait fasse parce que ça vous apparaîtra comme une évidence. A partir de ce moment-là vous allez employer chaque jour de votre vie à l'obsession que votre issue réside dans ce seul carré et négliger toute autre possibilité.

La croyance réligieuse pousse généralement l'esprit à ce fatalisme puisqu'elle ne le laisse plus concevoir d'alternative à l'évidence qu'elle lui aura imposé. Et de façon générale, toute croyance qui ne se remet pas en cause, comme je le disais lors d'une intéressante discussion avec Lissadell, s'appuie sur des préjugés et a prioris qui eux-même impliquent un profond fatalisme (les choses sont ainsi et elles ne sauraient être autrement !).

Si soudain on vous disait que la carré est une peinture en trompe-l'oeil, quelle sera votre réaction après des années d'efforts pour le rejoindre ? Certainement le découragement et le désespoir et vous aboutirez à la seule conclusion logique qui découle d'une croyance si forte et obstinée : il n'y a pas d'issue ...

Et effectivement il n'y en aura plus à partir du moment où vous l'aurez décidé comme vous avez décidé d'y croire inconditionnellement avant.

Ca revient à mon introduction sur les équations : la croyance donne une équation à plusieurs inconnues qui n'offre qu'un nombre limité de solutions parce qu'elle aura ignoré ce qui me paraît le paramètre le plus essentiel dans l'univers : la chaos. Celui qui n'introduira pas le chaos dans son équation existentielle aura nécessairement un nombre de solutions restreint et totalement subjectif et arbitraire : pourquoi cette équation plutôt qu'une autre ? Le choix d'une équation détermine déjà ses solutions.

Pourquoi poser Dieu comme cause première ou encore le Big-Bang ou je ne sais encore quelle hypothèse ? Parce qu'on sera parti d'une fin qu'on a choisi pour remonter à une cause qui la justifie, c'est une caricature de raisonnement : si vous partez du sommet d'une pyramide vous arriverez bien à sa base mais vous aurez négligé l'infinité des autres chemins possible pour la rejoindre et vous n'aurez qu'une infime partie de la base (le point auquel vous êtes parvenu, celui qui selon vous sera le seul à partir duquel on accède au sommet), dans l'autre sens vous auriez été obligé de prendre la totalité de la base pour restreindre le champs des possibilités au fur et à mesure de votre progression jusqu'à parvenir à la seule finalité viable : le sommet où l'on se trouve àl'instant présent. Par exemple, à partir du moment où vous aurez donné tous les attributs à un Dieu, vous trouverez une explication à toutes choses et vous disposerez toujours du recours que les voies du Seigneur sont impénétrables pour expliquer jusqu'à l'inexplicable.

Quand je parle de la nécessité d'introduire le chaos dans l'équation, je pense à ce paramètre qui fera que l'ensemble des solutions finies se trouvera multiplié à l'infini par l'application d'un paramètre totalement aléatoire et imprévisible; ne serait-ce que le paramètre humain qui n'obéit à aucune logique mathématisable et qui amènerait toute tentative de prédiction à une des solutions arbitraires.

 La mutliplicité du vivant provient de cette formidable évolution selon des paramètres imprévisibles qui induisent ce qu'on appelle abusivement des accidents (les mutations génétiques, les mouvements chaotiques de corps célestes qui aboutissent à des collisions imprévisibles, etc.).

Celui qui adopte une vision fataliste ne saura pas voir cette multiplicité parce qu'il ne pensera qu'en terme d'accidents et se dira que le plan initial a juste connu une erreur de procédure et il s'acharnera malgré tous ces accidents à ne penser que son inexorable équation (les puritains continueront longtemps encore à bannir le darwinisme de l'enseignement américain selon ce raisonnement obstiné qui nie l'évolution pour affirmer le plan divin).

Pour conclure mon raisonnement avec la citation de départ je rejoins Frank Herbert dans son affirmation qu'il n'y a pas plus pure beauté que le spectacle de la multiplicité : c'est un peu comme avoir devant soi tout l'horizon dégagé malgré la présence du mur entre nous et lui; c'est simplement savoir où on va et habituer sa pensée à l'idée qu'il y a nécessairement un chemin pour y parvenir, l'habituer à envisager tous les chemins possibles plutôt que de s'obstiner dans celui qu'on aura pensé comme seul possible.

S'autoriser simplement le LIBRE-ARBITRE plutôt que de se soumettre à une vision unique des choses !